Que valent les plans B de la stratégie énergétique ?

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Lors de votation populaire, l’une des tactiques classiques pour défendre un projet consiste à nier l’existence ou même la possibilité d’un plan B. Péremptoire, cette attitude est en fait peu constructive. S’agissant de la Stratégie énergétique 2050, il est au contraire intéressant d’identifier les éventuelles alternatives, puis de les évaluer.

Le débat repose sur deux constats, que personne ne conteste :

  • Premièrement, le parc nucléaire arrive en fin de vie. Un jour ou l’autre, nos centrales nucléaires s’arrêteront, en raison de leur usure. La date de mise hors service est incertaine, sauf pour Mühleberg, qui sera débranchée à fin 2019 par la volonté de son exploitant, les BKW. Mais aujourd’hui déjà, l’enchaînement de pannes récurrentes diminue toujours plus leur disponibilité. Alors que leur production avait culminé à 26 TWh au milieu des années 2000, soit environ 40 % de la consommation électrique suisse, les centrales atomiques n’ont produit que 20 TWh en 2016. La centrale de Leibstadt n’a pas fonctionné durant tout l’hiver qui s’achève, tandis que celle de Beznau 1 est à l’arrêt depuis deux ans.
  • Deuxièmement, la Suisse dépend très fortement des importations de gaz et de pétrole. Ces deux sources d’énergies fossiles couvrent actuellement 65 % de sa demande. Leur combustion dégage du CO2, le principal gaz à effet de serre.

La stratégie énergétique soumise au peuple suisse consiste à remplacer progressivement la production nucléaire par de l’électricité renouvelable indigène, en investissant dans des installations existantes ou nouvelles. Simultanément, elle incite à améliorer le rendement des appareils électriques. Enfin, et c’est là le plus grand levier quantitatif, le projet augmente sensiblement les efforts pour gagner en efficacité dans l’usage des énergies fossiles. Il s’agit en particulier de réduire les émissions des voitures par km et d’accélérer l’assainissement des bâtiments.

Si ce dispositif devait être rejeté, trois pistes alternatives sont envisageables pour assurer l’approvisionnement électrique. En revanche, ne rien faire n’est pas une option, vu l’arrêt inéluctable de centrales vieillissantes. Au mieux, leur mise hors service pourrait être reportée de quelques années, ce qui n’irait pas sans risques supplémentaires.

Le premier plan B consisterait à construire de nouvelles centrales nucléaires pour remplacer les anciennes. Concrètement, il est douteux que les centrales de remplacement puissent être mises en service à temps, vu la longueur des procédures et la complexité de la construction. Par conséquent, nous devrions temporairement importer l’intégralité de l’électricité actuellement fournie par les centrales existantes.

D’autre part, vu les risques de cette technologie et le problème totalement irrésolu des déchets nucléaires, cette stratégie est indéfendable pour la sécurité des habitants. Un tel projet n’aurait d’ailleurs pratiquement aucune chance d’être accepté en référendum. Mais, avant même une hypothétique votation, l’inconvénient majeur est d’ordre économique : l’explosion des coûts du nucléaire pour la construction, la déconstruction, l’élimination des déchets devient un obstacle insurmontable. Comme le montrent les exemples anglais et français, il faut un soutien massif de l’État pour que de nouvelles constructions démarrent. Et malgré des garanties tarifaires supérieures à celles octroyées aux énergies renouvelables, leur aboutissement reste très incertain. La récente mise en faillite de Westinghouse, constructeur américain de réacteur atomique, en apporte une confirmation supplémentaire.

La deuxième alternative serait de construire des centrales à gaz, ou éventuellement à charbon, pour remplacer l’intégralité de la production nucléaire. Clairement, cette option tiendrait de l’hérésie climatique. Et si elle peut satisfaire un Donald Trump, elle paraît irresponsable. De surcroît, elle augmenterait encore une dépendance de la Suisse aux importations fossiles déjà forte. En termes de coût et de fiabilité, les risques seraient donc considérables.

La troisième solution consiste à remplacer le courant nucléaire par de l’électricité importée. Au plan technique, cette alternative est praticable, du moins à court terme. Cet hiver, elle a déjà été appliquée sans grande difficulté pour remplacer la moitié de la production manquante d’énergie nucléaire. Toutefois, cette nouvelle dépendance viendrait s’ajouter aux quelque 65 % des besoins que nous couvrons déjà par du pétrole gaz, eux aussi entièrement importés. Le risque stratégique deviendrait donc extrêmement important, en matière de sécurité d’approvisionnement et de prix.

Vu la quasi impossibilité de construire de nouvelles centrales nucléaire et les problèmes climatiques, un « non » le 21 mai conduirait donc directement au troisième plan B, à savoir une augmentation drastique des importations. Ainsi, critiquer la Stratégie énergétique  en lui reprochant de faire partiellement et temporairement recours aux importations pour remplacer le courant nucléaire est non seulement absurde, mais aussi très hypocrite.  C’est en effet le « oui » qui réduit la dépendance aux importations, en développant la production indigène.

Au final, le dispositif proposé par le Conseil fédéral et adopté par le Parlement mérite d’être soutenu. Autrement dit, il convient de suivre l’exemple de nos prédécesseurs : en osant investir dans l’hydraulique, ils nous ont légué un outil remarquable. Leur démarche doit être poursuivie et élargie aux nouvelles énergies renouvelables. Contrairement à l’uranium, au gaz et au pétrole, l’énergie primaire, à savoir le vent, l’eau, le soleil et la chaleur du sous-sol, arrive gratuitement sur notre territoire. Il s’agit donc de la récolter en investissant dans les installations adéquates, tout en redoublant d’efforts en matière d’efficacité. Un tel défi s’inscrit parfaitement dans la capacité d’action et la tradition culturelle de la Suisse.

(Une version raccourcie est paru dans Le temps du 26.4.2017)

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