L’exploit de l’initiative UDC : Créer quatre grosses complications en essayant de résoudre un faux-problème.

L’UDC affirme avoir lancé l’initiative “Le droit suisse au lieu de juges étrangers” dans le but de résoudre un problème. Or, à y regarder de plus près, ce problème n’est pas en. Par contre, l’initiative créerait au moins quatre grosses complications si elle était acceptée. Démonstration.

Le faux problème que prétend résoudre l’initiative.

L’UDC estime qu’il est dramatique que la Suisse respecte les accords internationaux qu’elle a signés avec d’autres pays. Pour résoudre ce problème, son initiative propose d’inscrire dans la Constitution que la Suisse peut adopter des lois qui violent les accords signés. Et qu’ensuite, on appliquerait ces lois plutôt que les accords que l’on a signés.

Si l’on est plus d’accord avec l’application d’un traité, il faut le résilier plutôt que de tricher sur son application. D’ailleurs, l’UDC elle-même le reconnaît puisqu’elle vient de déposer une nouvelle initiative qui demande de résilier les accords bilatéraux avec l’Europe.

En réalité, la règle latine « pacta sunt servanda » – en français « les contrats doivent être respectés » – ne pose pas de complication. Au contraire, elle est le fondement de relations claires et solides entre les personnes et entre les pays. Il s’agit clairement d’un faux problème.

Premier nouveau problème : destruction de la fiabilité la Suisse

Pour résoudre le faux problème ci-dessus, UDC  propose donc que la Suisse se permette d’adopter des lois qui ne respectent pas les traités signés. Cela vaudrait bien entendu pour les nouveaux traités, mais aussi pour les traités signés dans le passé. Quel pays signera encore des accords avec la Suisse si celle-ci ne respecte pas ses engagement? La Suisse sera considérée comme un pays peu fiable.

Deuxième nouveau problème : empêcher la Suisse de défendre ses intérêts à l’étranger.

La Suisse a signé de nombreux traités pour défendre ses intérêts. Par exemple pour faire du commerce ou pour garantir la coopération policière et judiciaire internationale. Ou pour vous permettre  de travailler et d’étudier en Europe.

Grâce au référendum, le peuple suisse est libre de décider s’il veut signer ou non un traité important. En revanche, décider que dans tous les cas, la Suisse ne respecterait plus les traités, cela signifierait que plus aucun pays n’acceptera de signer les nouveaux traités avec la Suisse.

Ce serait un autogoal phénoménal pour la défense de nos intérêts. Et cela empêcherait le peuple suisse de décider démocratiquement de signer un traité, car on pourrait même plus le négocier préalablement.

Troisième nouveau problème : abandon d’un système de protection du petit pays

Il arrive bien entendu que les pays violent des traités. En général, c’est plutôt le fait de pays puissants. Actuellement, nous sommes justement dans une phase où plusieurs grands pays remettent en question l’ordre international. Mais cette évolution n’est pas dans l’intérêt des petits pays comme la Suisse. Le droit international et les traités protègent les petits pays, alors que le désordre ne profiterait qu’aux plus forts. Si elle acceptait l’initiative et donnait le signal du non-respect des traités, la Suisse  contribuerait à affaiblir un système qui la protège. Ce serait également un auto-goal.

Quatrième nouveau problème : grande salade juridique

En rédigeant son initiative, l’UDC s’est quand même rendue compte de la dangerosité de son texte. Elle a donc prévu une exception malheureusement très confuse. Si un traité a été soumis au référendum ou aurait pu l’être, il faudrait quand même le respecter. Mais cette exception claire en apparence ne fait que créer la confusion : par exemple, les tribunaux devraient-ils continuer d’appliquer la Convention européenne des droits de l’homme, qui a été ratifiée en 1972 par la Suisse ? Selon les règles constitutionnelles de l’époque, le référendum n’était pas possible, mais aujourd’hui, il ne serait.

Autre exemple : que faut-il faire lorsqu’un accord a été accepté par le peuple suisse en référendum, mais que les petits protocoles additionnels, c’est-à-dire des compléments et des précisions, ont ensuite été signés sans référendum pour tenir compte de l’évolution de la matière ?

Enfin, l’UDC a prévu que les traités  – anciens et nouveaux – qui ne seraient pas conformes à une nouvelle loi ou à un nouvel article constitutionnel devaient être résiliés « au besoin». Comment jugera-t-on de cette nécessité ? Ira-t-on jusqu’à résilier des accords qui ont été approuvés en référendum ?

En pratique, l’application de cette initiative créerait une immense salade politique et juridique, et beaucoup d’instabilité. Elle mettrait le Tribunal fédéral dans une situation impossible. En ce sens, elle attaque les juges Suisses, pas les juges étrangers.

Conclusion

Cette initiative prétend résoudre un problème qui n’en est pas un, et crée au moins quatre nouveaux problèmes . D’un point de vue rationnel, elle est totalement absurde. Ce texte mérite un NON sec et sonnant.

 

Post-scriptum : L’UDC n’a vraisemblablement pas lancé cette initiative et organisé une immense campagne de propagande pour régler un non-problème. En réalité, elle suit probablement un agenda caché. J’ai ma petite idée sur la question: http://rogernordmann.ch/la-confusion-de-linitiative-udc-cache-une-bombe-a-fragmentation/