Le rapport au format PDF – Auf Deutsch
Rapport à l’attention du Parti socialiste suisse
Energie, environnement et climat
Pour une électrification rapide de la mobilité routière
Roger Nordmann, Conseiller national
Président du Groupe socialiste des Chambres fédérales
Table des matières
1 Introduction : l’enjeu climatique des transports
2 Croissance des transports en Suisse
4 Impact écologique comparé des tractions fossiles et électriques
5 L’électrification de la mobilité routière, indispensable pour le climat
6 Appréciation socio-économique
1 Introduction : l’enjeu climatique des transports
Le réchauffement climatique est l’un des défis majeurs pour l’humanité. Avec l’accord de Paris signé en décembre 2015, un progrès très important a été accompli. Désormais, quasiment tous les pays à l’exception des USA de Trump vont s’engager pour une maîtrise du défi climatique. Chacun le fera en fonction de sa propre situation. Actuellement, déjà 169 pays représentant 88% des émissions globales ont ratifié l’accord. Celui-ci a pour objectif de limiter le réchauffement global à 1.5° d’ici la fin du siècle en comparaison de l’ère pré-industrielle.
Pour la Suisse, pays continental particulièrement exposée au réchauffement, cela signifie limiter le réchauffement à 3°. Afin de contenir la hausse de température conformément à l’accord de Paris, les pays développés devront réduire leurs émissions de CO2 de 80 à 95% d’ici 2050. Cette réduction s’exprime en pourcent de la quantité d’émissions qui prévalaient dans le pays considéré durant l’année 1990.
L’accord de Paris et les efforts qu’il déclenche méritent d’être salués. Malheureusement, la mise en œuvre est encore lacunaire et trop lente. C’est précisément dans cette perspective que se situe le présent rapport. Il s’agit de renforcer l’ambition et les mesures en Suisse, sachant que les pays développés ont à la fois une responsabilité historique plus grande s’agissant des émissions passées et une obligation de leadership politique, économique et technologique pour l’avenir.
Pour l’instant, la Suisse n’a que faiblement réduit les émissions de CO2, comme on le voit sur ce graphique résumant ses émissions de gaz à effets de serre.
Comparaison des émissions de gaz à effets de serre de la Suisse en 1990 et en 2015, en millions de tonnes par an (sans l’aviation internationale)[1]
On constate que les émissions de CO2 de l’énergie en Suisse représentent en 2015 plus du 3/4 du total des émissions de gaz à effet de serre de la Suisse (accolades bleues et rouges). Le solde des émissions de gaz à effet de serre provient notamment de la combustion des déchets, de l’agriculture, des décharges, des cimenteries et des processus chimiques de l’industrie.
A noter que ces statistiques n’incluent pas les 5 millions de tonnes émises annuellement par le trafic aérien. Ces émissions ne sont malheureusement pas prises en compte par les accords internationaux. De même, les émissions qui ont lieu à l’étranger pour fabriquer des produits consommés en Suisse ne figurent pas dans la statistique de la Suisse, mais dans celle du pays de fabrication. Ces émissions dues à l’énergie grise sont supérieures aux émissions en Suisse !
On constate qu’en Suisse, d’importants progrès ont été accomplis dans l’artisanat, l’industrie et le chauffage (ménage). En revanche, dans le domaine des transports, la situation est comparable à celle prévalant en 1990. Le graphique ci-dessous détaille l’évolution des émissions imputables à la consommation de carburants et de combustibles fossiles. Les émissions des carburants (=transports) figurent en bleu et celles des combustibles en rouge (=bâtiment, industrie et artisanat). Désormais, les émissions de CO2 imputables à la mobilité représentent presque la moitié du total des émissions des carburants et des combustibles.
Emissions de CO2 des combustibles et des carburants en Suisse en millions de tonnes par an, (sans la conversion d’énergie, ni déchets, ni le kérozène des vols internationaux[2].
Une évidence impose dès lors: si les efforts importants accomplis dans le secteur des bâtiments et dans l’économie ont porté des fruits et doivent être poursuivis, une politique climatique sérieuse ne saurait ignorer la question des émissions de CO2 générées par la mobilité routière. À elles seules, les voitures et les camionnettes émettent plus de 11 millions de tonnes de CO2.
Or, dans son projet de politique climatique 2020-2030, le Conseil fédéral renonce à réduire sérieusement les émissions de la mobilité. Il se contente de proposer la compensation des émissions du trafic suisse par l’achat massif de réductions d’émissions à l’étranger. Cette politique à courte vue relève du trafic d’indulgences. Ne traitant pas le problème à la racine – à savoir les émissions des véhicules en Suisse –, elle coûtera de plus en plus cher, car il faudra, année après année, acheter à l’étranger des réductions de plus en plus onéreuses. Dans le secteur de la mobilité, l’approche est en total décalage avec les nécessités soulignées par l’accord de Paris.
Empoigner la question de la mobilité demande certes du courage politique, car la voiture présente une grosse charge émotionnelle, en positif comme en négatif. La mobilité individuelle motorisée – comme d’ailleurs la mobilité en général – comporte en effet deux visages, telle Janus : source de liberté et d’émancipation, elle constitue simultanément une contrainte à laquelle on n’échappe pas dans le monde moderne, ne serait-ce qu’en raison de la pendularité professionnelle, mais aussi des obligations liées aux loisirs et à la vie de famille.
Tant pour son volet contraint que choisi, la population suisse aspire à ce que la mobilité ne détruise plus le climat. On en est loin actuellement. En plus de consommer beaucoup d’énergie et de nuire au climat, la mobilité routière pollue l’air, génère des nuisances sonores et occupe beaucoup d’espace. Ces autres nuisances des transports motorisés routiers constituent autant d’arguments supplémentaires en faveur d’une politique ambitieuse d’assainissement de la mobilité. Il convient d’avancer rapidement dans cette direction, avec pour objectif de maintenir la qualité de vie tout en réduisant drastiquement notre empreinte écologique.
Vu la dynamique de croissance de la mobilité, il serait illusoire de miser uniquement sur une réduction drastique de la mobilité individuelle. La sagesse humaine ne garantira pas à elle seule l’abandon des véhicules prestigieux à forte consommation d’énergie. Outil indispensable pour certains, symbole de liberté pour d’autres, objet séduisant pour beaucoup, la voiture a en effet encore de très beaux jours devant elle. A contrario, renoncer à toute remise en question et ne miser que sur des mesures techniques telles que l’électrification ne suffira pas non plus.
Nous avons donc besoin d’une politique des transports globale. Celle-ci doit en particulier viser la maitrise du kilométrage parcouru et la promotion des alternatives à la mobilité individuelle motorisée, car ils s’agit de leviers décisifs. Mais elle doit aussi chercher à assainir écologiquement la mobilité routière, un axe d’intervention d’autant plus important que le volume de trafic est élevé.
Les récents progrès technologiques des batteries et la baisse de leurs coûts permettent désormais d’envisager une électrification à large échelle de la mobilité individuelle. Malgré les inconvénients environnementaux des batteries, l’électrification de la mobilité routière est clairement favorable à l’environnement, à la condition que l’électricité soit essentiellement d’origine renouvelable. La baisse des coûts des énergies renouvelables, et en particulier du solaire, offre ici également de nouvelles perspectives.
En détaillant l’impact écologique de la mobilité et en comparant la traction fossile et électrique, le présent rapport montre que le moment est venu de d’électrifier la mobilité routière et de prendre des mesures ambitieuses pour y parvenir. Cela concerne bien entendu la voiture, mais aussi des véhicules de livraison, les camions, les bus et les deux-roues.
S’inscrivant dans une approche globale des problèmes des transports, ce rapport se concentre sur la question spécifique de l’opportunité de l’électrification de la mobilité routière. Cette transformation représente potentiellement un levier décisif. Il s’agit de bien l’évaluer avant de l’actionner. Ce focus thématique ne signifie pas que l’électrification constitue la panacée. Au contraire, cette démarche n’a précisément de sens que dans une politique des transports globale, intégrant les transports publics, l’aménagement du territoire et la mobilité douce.
Vu la charge émotionnelle et affective liée à la voiture, il me paraît utile de préciser à ce stade dans quel esprit j’ai écrit ce rapport : j’ai essayé de m’affranchir tant du culte de l’automobile que de sa critique systématique. Autrement dit, j’ai tenté d’adopter une approche relativement clinique du sujet.
* * *
Ce rapport débute par un état des lieux sur la structure et l’évolution des transports en Suisse (chapitre 2). Le chapitre suivant (3) analyse l’impact écologique des transports, essentiellement imputable à la route à l’heure actuelle.
La comparaison du bilan écologique de la traction fossile et de la traction électrique (chapitre 4) constitue le fondement de la stratégie d’électrification proposée dans ce document (5). Le rapport examine ensuite l’impact socio-économique d’une électrification (chapitre 6), puis propose des mesures concrètes (chapitre 7). Le rapport ne traite pas la question de la sécurité routière, partant du principe que l’électrification ne change rien à cette question. On se contentera cependant de rappeler ici qu’en la matière, les transports publics sont plus performants.
Remerciements
Je tiens à remercier les personnes suivantes, qui m’ont fait des commentaires et des suggestions sur une première version du rapport : Evi Allemann, Pascale Bruderer, François Cherix, Chantal Gahlinger, Edith Graf-Litscher, Philipp Hadorn, Thomas Hardegger, Beat Jans, Jacques-André Maire, Eric Nussbaumer, Silva Semadeni et Martin Winder.
2 Croissance des transports
L’impact écologique des transports dépend directement du nombre de kilomètres parcourus et des tonnages transportés. Ainsi, pour saisir l’enjeu des transports, il s’agit tout d’abord d’en apprécier la structure et la dynamique quantitative, en constante augmentation. C’est l’objet de ce chapitre.
2.1 Transports de personnes
Sur le graphique ci-dessous, la croissance du kilométrage total parcouru en Suisse est bien visible. Ces dernières années, cette évolution reflète avant tout l’augmentation de la population. En effet, la distance journalière parcourue par chaque personne s’est enfin stabilisée, à 39 km par jour (hors aviation). Le temps consacré aux transports a même légèrement reculé. Nous pourrions avoir atteint « peak-déplacements», du moins par habitant s’agissant des transports terrestres.
Evolution des prestations de transport de personnes de 1970 à 2016[3]
Ce graphique produit par l’OFS, montre que la structure est globalement la même depuis les années 1970 : la route se taille la part du lion, à hauteur des trois quarts. Malheureusement, la mobilité douce n’était pas mesurée au début de la période et la statistique comporte une lacune en matière de transports publics routiers. A noter que la charge de trafic croît surtout sur les autoroutes[4].
Depuis l’an 2000, la croissance sur le rail est nettement plus forte (63%), alors que la progression sur la route n’était que de 25 %. Au cours des quinze dernières années, on observe donc une progression de la part des transports publics. Malgré ce fort développement de l’usage du train, la progression de la part des transports publics reste modeste : alors qu’en l’an 2000, les transports publics couvraient 16.9 % des déplacements motorisés, ce pourcentage atteint 20.4% en 2016[5].
Motifs des déplacements selon le moyens de transports[6]
Le graphique ci-dessus, issu du micro-recensement de l’OFS, est extrêmement frappant. Il montre en effet que les déplacements pour les loisirs constituent le poste le plus important. S’agissant de la voiture, la pendularité professionnelle ne représente que 22 % des trajets, contre exactement le double pour les loisirs ! Les transports publics sont extrêmement populaires pour se rendre au travail et sur les lieux de formation, mais jouent aussi un rôle important pour les loisirs.
Encadré : La croissance spectaculaire de l’aviation[7].
De 2000 à 2015, le nombre de kilomètres parcourus en avion a largement triplé, passant de 2633 à 8986 km par année et par personne. Cette évolution est principalement due au trafic pour des motifs privés, alors que le trafic pour des motifs professionnels s’est plutôt stabilisé, du moins sur les dernières années (selon le microrecensement). Dans un premier temps, la croissance du kilométrage a été largement compensé par les gains d’efficacité technique et organisationnelle, ces derniers allant jusqu’à faire baisser consommation de kérozène. Mais de 2005 à 2015, la croissance du kilométrage a été si forte que la consommation de kérosène a augmenté de 39%, pour une multiplication par 2,6 des distances parcoures par personne! |
2.2 Transports de marchandises
Comme le montre le graphique ci-dessous, les quantités de marchandises transportées ont fortement progressé jusque vers 2008. La part du rail dans le transport de marchandises a baissé de 53% en 1980 à 36% en 2010. Depuis, il est remonté à 39%.
C’est dans le trafic de transit sur l’axe nord-sud que le rail est le plus fort, avec 71% de part modale. Cela reflète les efforts politiques consécutifs à l’acceptation de l’initiative des Alpes. A contrario, la part du rail est plus faible dans le trafic interne.
Part modale du rail et de la route dans le trafic marchandise (en mrd de tonnes-km)[8]
La statistique des véhicules utilisés pour transporter des marchandises sur la route (ci-dessous) est édifiante : elle montre que le kilométrage parcouru par les camions s’est stabilisé depuis l’an 2000, alors que celui des camionnettes de livraison a fortement augmenté. Cette évolution n’est pas surprenante : l’introduction de la RPLP (redevance poids-lourds à la prestation) a incité à mieux charger les camions, dont le poids maximum autorisé a par ailleurs passé à 40 tonnes. A contrario, la livraison de biens plus légers au moyen de camionnettes est en pleine expansion. On peut s’interroger sur la rationalité de ce foisonnement, probablement assez emblématique de notre époque.
Transport de marchandises : évolution du kilométrage sur la route[9]
3 Impact écologique des transports routiers en Suisse
L’impact écologique des transports est à la fois global et local. L’impact global découle en particulier de la consommation d’énergie. Lorsque celle-ci est d’origine fossile, elle induit d’importantes émissions de gaz à effet de serre, réchauffant le climat. L’impact local, facile à percevoir, peut se résumer en trois points principaux :
- la pollution de l’air (hors gaz à effets de serre)
- le bruit
- la consommation d’espace, y compris le morcellement des espaces
Ce chapitre présente quelques indicateurs pour jauger ces impacts de la mobilité en Suisse. La Suisse n’ayant ni fabricants d’automobiles ni activité pétrolière, l’impact de la fabrication des véhicules et de l’extraction du pétrole a lieu hors de nos frontières. Il en sera tenu compte dans le chapitre suivant. Ce regard hors des frontières est indispensable dès lors que l’impact écologique de la mobilité ne se limite pas à l’énergie consommée en roulant : la fabrication des véhicules représente en effet l’une des activités les plus intensives en énergie grise et en matières premières. L’extraction fossile présente également un impact important, qui se cumule à celui de la combustion par l’utilisateur final.
3.1 Energie et climat
Le trafic routier est un énorme consommateur d’énergie. Il absorbe à peu près la moitié des énergies fossiles consommées en Suisse. Corollaire logique, les émissions de CO2 dues aux carburants utilisés pour la mobilité en Suisse sont considérables. Elles s’élèvent à environ 16 millions de tonnes par an, et ceci sans compter les émissions de l’aviation internationale. Les émissions des transports terrestres suisses représentent environ un tiers de toutes les émissions de gaz à effet de serre, et presque la moitié si l’on ne considère que les émissions liées à la consommation énergétique. L’impact de cette consommation est donc très important, notamment au plan climatique.
3.1.1 Consommation actuelle par catégorie de véhicules
Le tableau ci-dessous montre que l’automobile se taille la part du lion dans ces émissions, même si l’impact du transport de marchandises sur la route ne saurait être négligé.
Emissions des différents types de véhicules routiers (sans le tourisme à la pompe)[10]
Catégorie de véhicules | Emissions de CO2 en 2015, en millions de tonnes. |
Voitures de tourisme | 10.29 |
Camionnettes | 0.83 |
Camions | 1.75 |
Bus | 0.36 |
Motocyclettes | 0.24 |
3.1.2 Evolution souhaitée et effective des voitures
Depuis la crise du pétrole de 1973, de nombreux pays s’efforcent de réduire la consommation d’énergies fossiles, en particulier sur la route. La question se pose donc de savoir si ces efforts portent des fruits et si l’on peut espérer une amélioration ultérieure.
Chaque année, entre 7 et 10 % du parc automobile est renouvelé. On pourrait donc s’attendre à une baisse rapide des émissions par kilomètre, à l’instar des émissions indiquées par les fabricants. Or on constate que les émissions effective de CO2 par kilomètre n’ont pas beaucoup baissé, et que l’on est loin du seuil légal des 130 grammes par kilomètre valable pour les nouvelles voitures. La valeur effective du parc en circulation est d’environ 180 grammes par kilomètre.
Emissions de CO2 des voitures par km (émissions effectives) [11]
Pour la bonne compréhension du graphique, on rappellera que 180 grammes de CO2 par kilomètre équivalent à une consommation de 6,9 litres de diesel ou de 7,7 litres d’essences sur 100 km.
Cette performance décevante s’explique notamment par l’écart entre les émissions indiquées par les fabricants et celles observées en situation réelle. Cette différence s’est creusée au point d’atteindre environ 40 % à l’heure actuelle s’agissant des émissions[12] de CO2. Pour les autres polluants atmosphériques, la situation est pire, comme l’a montré le scandale du diesel.
En partie, cette mauvaise performance s’explique aussi par la tendance à acheter des véhicules de plus en plus gros et lourds. Vu le pouvoir d’achat, les habitudes de consommation et le mode de conduite des Suissesses et des Suisses, il ne faut pas s’attendre à une amélioration drastique. Pourtant, il existe sur le marché des véhicules qui, dans la pratique, consomment environ 4 litres d’essence aux 100 km et émettent effectivement autour des 100 g de CO2 au km. Malgré cela, on ne peut guère espérer une amélioration spontanée des émissions des véhicules diesel et essence.
3.1.3 L’atout comparatif des transports publics en termes énergétiques et climatiques
Après avoir détaillé la consommation d’énergie et les émissions de CO2 des transports individuels, il vaut la peine de les comparer avec les transports publics.
En termes de consommation d’énergie, le train est quatre à cinq fois plus efficace que la voiture conventionnelle pour transporter un passager sur 1 km. C’est ce qui explique que le train les trams et trolleybus ne consomment que 5 % de l’électricité suisse, ce qui représente à peine plus de 1 % de la consommation globale d’énergie helvétique.
De surcroît, l’électricité ferroviaire étant à plus de 90 % renouvelable, le train n’a quasiment pas d’impact climatique, contrairement au trafic routier. On peut ajouter au plan économique que l’énergie des transports ferroviaires est indigène alors que celle du système routier est entièrement importée. Le graphique ci-dessous résume les paramètres comparés, en tenant compte du taux de remplissage effectifs des véhicules. L’incroyable efficacité du train est frappante. On relèvera au passage que le bilan des bus et des autocar dépend fortement du taux de remplissage. Si celui-ci est élevé, leur performance est tout à fait décente.
Comparaison des émissions de CO2 et de la consommation d’énergie pour le transport d’une personne sur un kilomètre[13]
Aide à la lecture : l’énergie consommée en moyenne pour transporter une personne sur 100 km figure en rouge. La voiture consomme environ 45 KWh d’énergie pour transporter une personne sur100 km par personne (soit environ 4 litres de carburant). Elle émet environ 120 gr de CO2 par kilomètre, en bleu. Le train consomme peu d’énergie, uniquement sous forme d’électricité. Comme cette énergie est presque essentiellement renouvelable (et un toute petit peu nucléaire), la colonne bleue des émissions de CO2 du train est à zéro. Attention, ce graphique décompte la consommation des émissions non pas par kilomètre du véhicule, mais par kilomètre-passager. Il est tenu compte du fait que les voitures sont occupées en moyenne par 1,5 personnes.
3.2 Pollution locale de l’air
Il existe de nombreux paramètres pour évaluer la pollution de l’air, notamment les oxydes d’azote, l’ozone, les particules fines, les particules ultrafines etc. Dans le cadre de ce rapport, il est impossible de tout détailler. Dans certains domaines, comme les particules fines, des progrès importants ont été accomplis ces dernières années, mais dans d’autres, la situation demeure critique, voire s’aggrave.
La dégradation de la qualité de l’air a un impact direct sur la santé humaine par exemple en termes de bronchites chroniques. Certaines substances sont cancérigènes, en particulier en cas de combustion incomplète. En outre, certaines catégories de population sont plus vulnérables (jeunes enfants et personnes âgées par exemple). On estime à 3000 décès prématurés par an l’impact de la pollution de l’air. Le site de l’Office fédéral de l’environnement offre une bonne vue d’ensemble[14].
Enfin, même si la situation s’est nettement améliorée grâce aux catalyseurs et aux filtres à particules, il ne faut pas sous-estimer l’atteinte aux bâtiments. Ni d’ailleurs celle aux végétaux, notamment dans l’agriculture.
Les deux illustrations suivantes présentent la situation sur le front de l’ozone. Ce problème est le fruit de l’interaction entre l’ensoleillement et certaines émissions du trafic à essence ou diesel (les oxydes d’azote et les composés organiques volatils). Il est donc principalement aigu pendant l’été, période où les chauffages ne jouent quasiment aucun rôle.
Situation de la pollution à l’ozone en Suisse (évolution et répartition géographique)[15]
En matière de pollution atmosphérique locale, les avantages d’une électrification de la mobilité individuelle seraient énormes, puisque celle-ci permet d’éviter les gaz d’échappement. Le frottement des pneus sur le bitume – un problème relativement accessoire – demeurerait la seule source de pollution atmosphérique. On rappellera que transports ferroviaires n’ont, à l’exception de la question des particules fines issue du freinage, aucun impact sur la qualité de l’air.
3.3 Bruit
S’agissant du bruit, les transports motorisés ont un impact considérable sur les personnes, comme le montre le graphique suivant. Pendant la journée, l’impact du train est vraiment négligeable en comparaison de celui de la route. La nuit, la situation est un peu plus critique en raison du trafic ferroviaire marchandises et de l’interdiction du trafic des camions pendant la nuit.
Exposition des personnes à la pollution sonore[16]
Il faut noter que les données sont anciennes et que dans le domaine ferroviaire, avec la modernisation du matériel roulant et la pose des parois antibruit, la situation s’améliore rapidement.
Inversement, ce graphique ne saisit pas toute les nuisances sonores. Que dire, par exemple, des motos vrombissant sur les cols, ou du bruit du trafic que l’on subit dans la rue ?
3.4 Espace dévolu aux transports.
L’espace urbanisé représente environ 6 % du territoire suisse, en comptant également les espaces verts et lieux de détente (par exemple les parcs publics et les terrains de foot). Il est frappant de constater que la mobilité occupe un tiers de cet espace, soit à peu près exactement la même surface que l’habitat. Ainsi, quelque 2 % de la surface de la Suisse sont consacrés aux transports. Neufs dixièmes de la surface des transports sont dévolus aux routes et aux autoroutes alors que seul 1/10 est destiné à l’utilisation ferroviaire. Ce chiffre est à mettre en rapport avec le fait que le train assume 17 % des kilomètres parcourus par les personnes. En termes de consommation d’espace, le train a une efficacité nettement plus importante que la route. A noter qu’une petite portion du réseau routier constitue l’infrastructure des bus et des trolleybus. En outre, les vélos utilisent également le réseau routier.
Entre le début des années 80 et la fin des années 2000, la surface dévolue aux transports a cru de 15 %, principalement en raison de de la construction des autoroutes, et accessoirement de la croissance des routes. Dans le même temps, la surface dévolue aux rails ne s’est accrue que de 3%[17].
4 Impact écologique comparé des tractions fossiles et électriques
Le chapitre précédent a résumé les principaux impacts environnementaux des transports. Il a mis en évidence les effets très négatifs de la mobilité routière. Ce rapport préconisant d’électrifier la mobilité routière pour diminuer les nuisances, il convient de s’assurer préalablement que ce choix est fondé. C’est l’objet de ce chapitre, consacré à la comparaison des voitures à tractions fossile et des voitures à traction électrique.
En termes d’impact écologique, les deux sortes de tractions ont, à bien des égards, des impacts similaires : elles exigent les deux un châssis, une carrosserie, des pneus, des routes, etc. Examiner ces similitudes ne nous aidant en rien pour la décision, nous concentrerons le propos sur les quatre différences importantes entre les deux formes de traction : 1) l’énergie et le climat, 2) les matériaux, 3) le bruit et 4) la pollution de l’air. Ensuite, nous tenterons une appréciation globale.
A la fin du chapitre, nous examinerons les autres véhicules électriques, dont l’E-Bike et le camion. Enfin, nous évoquerons sommairement d’autres combinaison d’énergie et de moteur, comme la pile à combustible ou le « power-to-gaz ».
4.1 Bilan énergétique et climatique
L’efficacité du moteur électrique constitue le principal argument en faveur de l’électrification. Comme on le voit sur le schéma ci-dessous, le moteur électrique transforme plus de 85 % de l’énergie en mouvement du véhicule. Au maximum 15 % de l’énergie est perdue en chaleur. Le moteur à explosion a une efficacité qui n’est que de 17 à 25 %, ce qui implique 75 à 83% de déperdition de chaleur. Autrement dit, pour accomplir le même parcours, un véhicule conventionnel utilise environ quatre fois plus d’énergie. En exagérant à peine, on pourrait affirmer que le moteur à essence est un chauffage fossile qui produit accessoirement un peu de mouvement.
Schéma : différence entre le moteur conventionnel et le moteur électrique[18]
En outre, le moteur électrique peut être alimenté avec de l’électricité renouvelable, alors qu’il est problématique d’utiliser des carburants renouvelables (voir : 4.6 ci-après).
La faîtière européenne « Transport & environnement (T&E) », dont est membre l’ATE suisse, a établi un document de synthèse sur l’impact climatique de la voiture fossile et électrique, ainsi que sur la question de la disponibilité des matières premières critiques. Le bilan de T&E se concentre sur les gaz à effet de serre durant tout le cycle de vie, en incluant la consommation d’énergie, de l’extraction des matières premières à la fabrication, mais sans tenir compte des autres aspects environnementaux (tels que les pollutions dues à l’extraction ou les polluants atmosphériques locaux). Ce focus climatique aboutit logiquement à attribuer à la mobilité électrique un bilan très favorable, comme on le voit sur ce graphique[19].
Graphique : les émissions de C02 au km sur le cycle de vie, selon T&E.
Aide à la lecture : Ce graphique compare les émissions de CO2 des voitures électriques dans différents pays avec celles d’une petite voiture diesel émettant 120 grammes de CO2 par km (valeur indiquée par le fabriquant). Au total de son cycle de vie, les émissions de cette voiture diesel (colonne de gauche) sont bien supérieures et s’élèvent à 210 g de CO2 par km. Il faut en effet tenir compte des émissions pour extraire et préparer le carburant ainsi que pour construire le véhicule. Le calcul tient compte du fait que les émissions en circulation dépassent les indications du fabriquant. Les émissions de CO2 de la voiture électrique se constituent d’une part fixe (construction du véhicule, du moteur et de la batterie, pour 30g. de CO2 par km), et d’une part variable qui dépend des émissions de CO2 pour la production d’électricité. Le chiffre entre parenthèse en dessous du pays indique le nombre de gramme de CO2 émis pour fabriquer un KWh d’électricité dans le pays en question.
Selon T&E, un véhicule électrique n’émet au cours de sa vie que 43 % des émissions d’un véhicule fossile comparable en moyenne européenne. Ce calcul comptabilise 300 g de CO2 pour la production d’un kilowattheure d’électricité en moyenne (une valeur qui a encore baissé depuis[20]). Comme l’origine de l’électricité s’avère absolument décisive, l’étude compare différents pays européens et différents scénarios de production électrique. Dans un pays comme la Pologne, où l’électricité est essentiellement d’origine charbonnière, l’électrification pourrait même être légèrement contre-productive justement dans le cas où l’électricité additionnelle serait produite avec du charbon. En revanche, l’électrification est extrêmement favorable dans des pays où la production d’électricité n’émet que très peu de CO2, à l’instar de la Suisse. À noter que les pays produisant beaucoup d’énergie nucléaire sont dans la même situation, mais avec l’inconvénient de subir le risque et les déchets nucléaires.
Il est frappant de constater que la fabrication de la voiture, de son moteur et des batteries ne pèsent pas beaucoup en termes d’énergie et de climat. La batterie au lithium ne représente qu’une petite fraction des nuisances d’un véhicule diesel.
Cette étude souligne d’ailleurs un aspect très important : c’est en circulation urbaine à basse vitesse, avec des ralentissements et des arrêts fréquents, que les voitures électriques ont le plus grand avantage comparatif. En effet, le moteur électrique est efficace également à basse vitesse et en charge partielle. En plus, il peut récupérer l’énergie de freinage (jusqu’à 30 % de récupération à la descente). A contrario, c’est sur l’autoroute à vitesse élevée et constante que leur avantage est le moins marqué.
Dans une étude française toute récente de la Fondation pour la nature et l’homme [21], les auteurs arrivent à des conclusions similaires – à savoir que la mobilité électrique est vraiment avantageuse sur le plan climatique. Et qu’elle ne déploie son plein avantage climatique que si l’électricité est d’origine essentiellement décarbonée. Ils insistent particulièrement sur la stratégie de recharge, qui doit privilégier les moments de la journée où l’électricité disponible est faiblement carbonée. T&E insiste également : si la mobilité électrique s’inscrit dans un contexte de maîtrise globale de la consommation électrique et l’accroissement d’efficacité, l’impact est bien meilleur que si cette consommation électrique s’additionne simplement à la consommation actuelle. En effet, dans ce second cas, le risque est important qu’une partie de cette électricité additionnelle génère de fortes émissions de CO2 (gaz ou, pire, charbon).
4.2 Disponibilité et extraction des matières premières
Ce chapitre examine la disponibilité et l’impact environnemental de l’extraction des matières premières spécifiques à chacune des deux formes de mobilité individuelle. Il s’agit du pétrole pour la mobilité fossile, des matières nécessaires aux batteries et des « terres rares » pour le moteur électrique.
4.2.1 Pétrole
La disponibilité des réserves de pétrole fait l’objet de grandes incertitudes. Si la fin du pétrole n’est pas à l’agenda avant quelques décennies, on ressent déjà fortement un phénomène de raréfaction : on observe un déclin des pétroles simples à extraire, qui sont les meilleurs marchés. A contrario, pour maintenir la production mondiale à la hauteur de la demande, il est de plus en plus nécessaire de faire appel à des techniques d’extraction non conventionnelles, tels que les sables bitumineux, les gaz de schiste ou l’extraction sous-marine de grande profondeur. Ces nouvelles sources demandent davantage d’investissement et davantage d’énergie pour obtenir un baril de pétrole utilisable. C’est ce qui explique que le prix du pétrole ne baisse plus durablement. S’il passe sous la barre des 50 à 60 $ le baril, les investissements s’arrêtent, jusqu’à que la pénurie fasse remonter le prix.
Il est très difficile d’établir un bilan écologique global de l’extraction pétrolière (hors combustion par l’utilisateur final), mais à l’évidence, les impacts sont importants. Il suffit pour cela de penser à la situation dans le delta du Niger[22], aux sables bitumineux, à la catastrophe Deepwater horizon, au naufrage régulier de pétroliers et à l’injection de produits chimiques dans les sous-sols schisteux.
Clairement, en plus de l’enjeu climatique, l’extraction pétrolière est une activité extrêmement négative pour l’environnement. Il s’agit d’un aspect qui plaide fortement pour les véhicules électriques.
4.2.2 Matériaux des batteries
Selon la synthèse de T&E, les réserves connues de lithium seraient suffisantes pour près de deux siècles. La situation ne serait pas non plus critique pour le cobalt, le nickel, le manganèse, et le graphite.
En revanche, les conditions d’extraction sont pour l’instant souvent désastreuses au plan social et écologique, d’autant que ces matériaux ne sont souvent disponibles qu’en très faible concentration, ce qui nécessite de grandes quantités d’énergie et d’autres produits chimiques pour les extraire. Comme pour le pétrole, il est difficile d’établir une appréciation globale de l’impact de l’activité extractive sur la biosphère et sur les êtres humains.
Trois aspects relativisent cependant ce sombre tableau :
- Contrairement au pétrole, qui ne peut être brûlé qu’une fois, il est possible de recycler ces matériaux à la fin de la vie de la batterie. Comme cette démarche est beaucoup plus intéressante au plan économique que l’extraction de nouvelles matières premières, il est probable que s’établisse progressivement un modèle circulaire.
- En outre, il apparaît que les batteries des voitures seront réutilisées dans des applications statiques, c’est-à-dire pour stocker de l’électricité du réseau ou à domicile. Ainsi, l’impact écologique de la fabrication de la batterie se partage sur deux utilisations successives plutôt qu’une seule. L’étude de la Fondation pour la nature et homme, citée précédemment, souligne que l’usage des batteries dans une seconde vie permet d’accroître substantiellement la part du photovoltaïque dans le réseau. Celles-ci permettent de stocker les excédents de production diurne de la journée pour les rendre disponibles pendant la soirée et la nuit. Cela apporte une contribution ultérieure à la décarbonisation.
- Troisièmement, le domaine de la batterie est en pleine évolution. La densité énergétique des batteries a fortement augmenté, ce qui signifie que pour une capacité de stockage équivalente, on utilise de moins en moins de matériaux critiques. Certains d’entre eux pourront être remplacés. En outre, la durée de vie augmente toujours plus. Tesla affirme sur la base des données des utilisateurs que ses batteries pourront faire plus de 500’000 km[23]. De façon plus générale, on ne considère plus que la batterie doit être changé à mi-vie de la voiture.
4.2.3 Matériaux du moteur électrique
A moindre échelle, des problèmes analogues se posent pour le moteur électrique. Les moteurs les plus efficaces et les plus souples disposent d’aimants permanents, ce qui nécessite l’insertion de relativement faibles quantités de métaux tels le néodyme, une des « terres rares ». Contrairement à ce que leur définition laisse entendre, ces métaux ne sont pas rares dans la croûte terrestre, mais ils sont par contre fortement dilués. De ce fait, leur extraction est compliquée et énergivore. De surcroit, leur production génère beaucoup de déchets. Ce marché est complètement dominé par la Chine.
Il est cependant aussi possible de construire des bons moteurs sans ces matériaux, lesquels nécessitent cependant alors l’emploi d’un peu d’électricité pour agiter les aimants. Cela réduit légèrement l’efficacité électrique d’ensemble. Dans le secteur éolien, on se passe désormais largement des terres rares, qui étaient pourtant partie intégrante des premières installations. Ici aussi, une filière de recyclage pourra se mettre en place. Elle est économiquement intéressante.
À noter que les véhicules conventionnels posent aussi quelques problèmes notamment en matière de métaux précieux. Les catalyseurs nécessitent des métaux du groupe du platine, et vu leur valeur, Il existe même des filières spécialisées dans le vol de pots catalytiques !
4.2.4 Matériaux : comparaison en demi-teinte
Sous l’angle de l’impact écologique des matériaux, le mieux serait clairement de renoncer à l’automobile. À défaut, la traction conventionnelle semble avoir un bilan écologique moins mauvais sous l’angle des matériaux. Toutefois, la tendance va dans l’autre sens :
- Tant les matières des batteries que les moteurs électriques font des progrès rapides, diminuant l’impact. En outre, l’intérêt du recyclage est évident en particulier au plan économique.
- A contrario, l’épuisement des ressources pétrolières entraîne plutôt une dégradation de l’impact écologique de l’extraction de pétrole.
Il est un aspect sur lequel nous n’avons pas encore suffisamment d’expérience pour tirer des conclusions : la durée de vie du véhicule. Comme le moteur électrique vibre beaucoup moins que le moteur à explosion, il vieillit moins vite et sollicite moins le reste du véhicule. Ainsi, alors qu’un autobus diesel ne roule qu’une quinzaine d’années, il n’est pas du tout rare qu’un trolleybus électrique roule plus de 30 ans. La longévité des moteurs électriques est absolument extraordinaire. Dans les applications industrielles, certains moteurs de plus de 50 ans fonctionnent encore parfaitement. Dans la production électrique, des générateurs atteignent 80 ans. Autrement dit, si l’on s’écarte de la logique de l’obsolescence programmée, il serait possible d’envisager pour les voitures électriques des durées de vie bien supérieure à celle des véhicules actuels, ce qui réduit l’impact de la fabrication et de la déconstruction rapportés aux kilomètres parcourus.
4.3 Bruit et pollution locale de l’air
L’absence de pot d’échappement constitue l’un des atouts les plus évidents de la mobilité électrique. Comme le scandale du diesel l’a montré, les voitures à traction fossiles sont loin d’être indolores pour l’air local, même si certains progrès ont objectivement été accomplis au cours des dernières décennies. Sur le plan de la pollution atmosphérique locale, il ne fait aucun doute que la traction électrique est largement supérieure.
En matière de bruit, il faut distinguer en fonction des deux types de sources que sont d’une part le moteur et d’autres par le frottement de l’air et des pneus. C’est le plus fort des deux bruits qui est perçu par l’oreille humaine. S’agissant de la traction fossile, c’est le bruit du moteur qui domine en dessous de 30 à 50 km/h. Pour les camions et les autobus, cette limite se situe même vers 60 km. Au-delà de ce seuil, c’est plutôt le bruit des pneus et du frottement de l’air sur la carrosserie qui l’emporte.
De ce fait, il n’y a, aux vitesses élevées, guère de différence sonore entre les véhicules électriques et des véhicules à traction fossiles. Ce propos mérite cependant une petite nuance : en règle générale, les voitures électriques ont des pneus plus minces et des carrosseries particulièrement aérodynamiques, par souci d’efficacité énergétique. L’électrification peut donc apporter une légère réduction du bruit donc aux vitesses élevées, même si ce n’est pas directement le fait du moteur.
À basse vitesse, le bruit du frottement des pneus et de l’air étant faible, les émissions sonores du moteur sont clairement dominantes. C’est ici que le moteur électrique présente un énorme avantage, car il est quasiment silencieux, y compris au démarrage. On peut se rendre compte de manière spectaculaire en comparant le bruit des différents véhicules redémarrant après un feu rouge. La différence est extrêmement marquée lorsqu’on compare le démarrage un autobus diesel et un trolleybus. Le moteur électrique présente donc le double avantage sonore de baisser les émissions dans les zones habitées, où le trafic est plutôt lent, et de ne pas provoquer au démarrage des bruits irréguliers, particulièrement dérangeant. En Suisse, où l’on circule souvent en montée, y compris en zone urbaine, l’avantage du moteur électrique est encore plus net: le démarrage et la traction en côte sont particulièrement bruyants avec le moteur thermique.
Enfin, on ne saurait taire l’avantage sonore des motos et des scooters électriques. En effet, les scooters électriques permettent d’éliminer les désagréments sonores marqués de leurs homologues fossiles, que ce soit en ville ou, pour les motos, sur les routes des cols. On releva aussi que la combustion des scooters est particulièrement mauvaise, ce qui fait que, rapporté à leur taille, ils sont extrêmement nuisibles pour la qualité de l’air.
Deux heureux electrobikers sur leur Johammer (Photo David Galeuchet, Solarmarkt)
4.4 Bilan écologique global
Comme l’impact écologique d’un véhicule comporte plusieurs dimensions très différentes allant des conditions d’extraction des ressources naturelles au bruit, les conclusions que l’on tire d’un écobilan peuvent aussi varier selon l’importance relative que l’on attribue à ces différentes problématiques. En outre, l’amélioration de l’analyse et les progrès technique sont susceptibles de faire évoluer les résultats. Sans surprise, les hypothèses faites sur la durée d’utilisation du véhicule, sur l’origine de l’énergie et des matières premières ainsi que sur les conditions de son élimination et du recyclage ont une influence importante sur le bilan écologique. Ainsi, l’art de l’écobilan n’est pas une science exacte, mais une tentative d’approcher la réalité pour nous aider à prendre des décisions.
En 2010, une étude du Laboratoire fédéral d’essai des matériaux et de recherche (EMPA) a proposé une analyse globale selon quatre différentes méthodes de bilan écologique, en tentant une démarche synthétique, avec une attention particulière à la question des batteries. Il s’agit d’une analyse de cycle de vie très complète, qui mériterait d’ailleurs d’être actualisée. L’une des 4 méthodes (GWP) se focalise sur le réchauffement climatique,
Bilan écologique synthétique selon 4 méthodes, pour une voiture de type WW Golf, avec le mix électrique européen moyen des années 2000 (2010)[24]
Sur ce graphique, les nuisances de la voiture électrique (BEV) sont fixées par hypothèse à 100%. On voit que la voiture conventionnelle (ICEV) a un bilan nettement plus défavorable, entre 125% et 165 % selon la méthode. Il est en outre frappant de constater que la batterie représente au maximum 15 % des nuisances. D’autre part, l’énergie nécessaire pour l’utilisation de la voiture (opération) représente dans tous les cas la plus grande part des nuisances. Dans cette étude, il est admis que l’on utilise l’électricité qui prévalait dans les années 2000 en Europe, avec passablement de charbon. Typiquement, la production d’un kilowattheure d’électricité induisait à l’époque l’émission de ½ kg de CO2 de l’atmosphère.
Malgré des hypothèses anciennes qui ne tiennent pas compte des récents progrès des batteries et de l’expansion des énergies renouvelables en Europe, la voiture électrique a un bilan nettement plus favorable que la voiture à traction fossile. Le résultat est d’autant plus remarquable que cette étude prend en compte pour le véhicule à essence les émissions indiquées par le fabriquant (notoirement sous-estimées). Les auteurs font observer que si l’on utilise du courant d’origine hydroélectrique, l’impact écologique de la voiture électrique diminue d’environ 40%. Dans ce cas de figure, l’usage du véhicule électrique devient environ trois fois plus écologique.
4.5 Autres véhicules électriques à batterie : camion, camionnettes, e-bike, scooters et avions
L’analyse ci-dessus est essentiellement consacrée aux voitures, vu qu’elles sont responsables du plus gros bloc d’émissions du trafic routier. Néanmoins, l’option de l’électrification est également ouverte pour d’autres véhicules, en particulier dans le domaine des marchandises. Ainsi, il existe différents types de camions électriques de différentes tailles, comme le répertorie https://de.wikipedia.org/wiki/Elektrolastkraftwagen. Pour limiter le poids des batteries et les déperditions lors du chargement et du déchargement, il existe un concept de lignes électriques aériennes pour les autoroutes. Le pantographe permet d’alimenter le moteur et de recharger simultanément la batterie. Celle-ci alimente le moteur sur les tronçons qui ne sont pas équipés d’une ligne aérienne. Dans le domaine des camions électriques, le temps de recharge des batteries n’est pas forcément un inconvénient, dès lors que le chauffeur doit de toute manière faire des pauses.
Illustration : le tronçon pilote pour camions électriques en Suède (Image Siemens, voir lien)[25]
Fondamentalement, l’option de l’électrification se pose la même façon pour les camionnettes de livraison, les motos et les scooters. Ces véhicules étant particulièrement prisés en zone urbaine, les avantages locaux sont très marqués.
De nombreuse villes, dont Londres, utilisent des bus de ligne à batterie. En outre, la technologie du trolleybus à batterie est en pleine extension. Comme le camions ci-dessus, le trolleybus à batterie recharge ses batteries lorsqu’il circule sur un tronçon équipé de ligne électrique. Mais il peut s’en affranchir pour quelques kilomètres afin de rejoindre par exemple un nouveau terminus. Cette technologie permet d’éviter l’investissement onéreux dans l’extension du réseau de lignes électriques aériennes, voire de le supprimer dans des zones esthétiquement sensibles. Ce dispositif sera utilisé à Villeneuve (VD) pour rejoindre le nouvel hôpital de Rennaz. Genève teste actuellement un bus électrique à supercondensateurs, qui se chargent en quelques secondes lors des arrêts (« TOSA »).
Le vélo électrique – E-bike – est le véhicule motorisé le plus efficace qui soit, grâce à sa vitesse modérée et à son faible poids à vide, largement inférieur à celui du ou de la cycliste. Sa consommation électrique culmine à 1 kilowattheure pour 100 km, tout en étant souvent inférieure à cette valeur. Cela signifie qu’il est au moins 10 fois plus efficaces que le train, déjà lui-même extrêmement efficace. Et bien entendu, cette électricité peut être d’origine renouvelable. C’est dire que s’il substitue la voiture ou le scooter fossile, le vélo électrique représente un gain considérable pour l’environnement. Il permet d’augmenter le rayon d’action de la mobilité douce, et, partant, la performance combinée de la chaîne mobilité douce et transports publics.
La question d’une électrification de l’aviation paraissait complètement illusoire il y a moins de 10 ans. C’est ainsi qu’au début du projet Solar impulse, on excluait que l’aviation ne puisse être électrifiée à large échelle, car il semblait impossible d’emmagasiner suffisamment d’électricité. Le projet de tour du monde en avion solaire était une allégorie du futur, renouvelable et efficace, destiné à entraîner des autres secteurs. Entre-temps, il existe de nombreux prototypes d’avions électriques de petite taille, et plusieurs constructeurs travaillent sur des projets d’avions électriques passagers pour des vols courts courrier. Il est difficile de dire si ces projets décolleront au sens propre. Mais au figuré, cela paraît déjà être le cas.
4.6 Quelques considérations sur les autres alternatives en matière d’énergie et de traction
4.6.1 Véhicules hybrides rechargeables à batterie
Les véhicules hybrides rechargeables sont des véhicules qui peuvent à la fois rouler à l’électricité et à l’essence ou au diesel. Ils sont dotés d’une batterie plus petite qu’un véhicule électrique ordinaire, ce qui ne leur permet de faire que 50 ou 100 km à l’électricité. Le moteur thermique est utilisé pour la distance qui dépasse la capacité des batteries, directement ou comme génératrice pour alimenter les batteries (« range-extender »). Dans la pratique, ces véhicules peuvent parcourir la nette majorité leurs kilomètres à l’électricité, ce qui est favorable. Écologiquement, le petit dimensionnement de la batterie est avantageux, mais cet avantage est contrebalancé par un poids accru (2 moteurs) et par le fait qu’une partie des kilomètres se fait à la traction fossile. Il s’agit probablement d’une technologie de transition, mais qui est souvent assimilé au véhicule électrique. Ces véhicules ont connu un certain succès ces dernières années, mais le progrès des batteries en diminue l’attrait. En effet, il faut doter le véhicule de deux systèmes de traction, ce qui a un impact certain sur le prix (et le poids). D’autre part, il existe un risque que ce type de véhicule effectue l’essentiel de ses km à la traction fossile.
4.6.2 Véhicules électriques à pile à combustible
Il s’agit de véhicules équipés d’un moteur électrique, lequel est alimenté en électricité par une pile à combustible. La pile à combustible fonctionne le plus souvent à l’hydrogène. Ce type de véhicule bénéficie naturellement de l’efficacité intrinsèque du moteur électrique. En termes de nuisances locales, la pile à combustible est très favorable, puisque le procédé consiste à combiner des molécules d’hydrogène et d’oxygène en rejetant simplement de l’eau.
Par contre, la fabrication de l’hydrogène par électrolyse induit des pertes énergétiques de l’ordre de 30 à 40%. Ensuite, à bord du véhicule, lors de la conversion en électricité de l’énergie contenue dans l’hydrogène, les pertes sous forme de chaleur sont de l’ordre de 40 à 60 %. Ainsi, l’efficacité globale n’est pas extraordinaire, si on la mesure à partir de la source électrique. On peut l’estimer probablement autour d’un petit tiers.
Néanmoins, l’hydrogène et les autres hydrocarbures de synthèse que l’on peut utiliser dans une pile à combustible présentent deux avantages majeurs : leur très forte densité énergétique et la possibilité de les stocker relativement facilement sur une longue durée, sans perte. Cet avantage permet d’une part d’envisager une très grande autonomie kilométrique. D’autre part, il est facile de les utiliser pour effectuer du stockage saisonnier d’électricité, que ce soit pour transférer des excédents solaires de l’été vers l’hiver ou des excédents éoliens de l’hiver vers l’été. Il est cependant probable que ce stockage saisonnier soit plus performant avec des installations stationnaires de grande taille et d’efficacité élevée qu’embarqué dans des véhicules.
Naturellement, cette technologie n’a de sens que si on utilise de l’électricité d’origine renouvelable pour produire l’hydrogène. En revanche, si on fabrique hydrogène en craquant des molécules de combustibles fossiles, on produit finalement plus d’émissions de CO2 que si on avait utilisé directement du diesel ou de l’essence. Dans l’imagerie populaire, l’hydrogène est considéré comme une source d’énergie extraordinaire. En réalité, il ne s’agit que d’une forme intermédiaire permettant de stocker l’énergie, mais pas une source. Dans la nature, on ne trouve pas de réserves d’hydrogène que l’on pourrait utiliser telles quelles.
4.6.3 Véhicules conventionnels alimentés au gaz de synthèse renouvelable
Il est possible de transformer des excédents d’électricité, de préférence renouvelables, en hydrocarbures de synthèse. La technologie connue sous l’appellation « Power-to-gaz » permet d’obtenir du méthane (chimiquement l’équivalent du gaz naturel). Parmi les utilisations possibles, on peut employer ce gaz pour mouvoir une voiture à gaz. Techniquement, celle-ci est une proche cousine de la voiture à essence. Il est même possible de fabriquer des hydrocarbures liquides que l’on peut mélanger avec l’essence fossile.
Mais tout ce qui est possible sur le plan technique n’est pas forcément souhaitable sur un plan économique et écologique. Sur l’entier de la chaine de conversion d’énergie, produire du gaz de synthèse puis l’utiliser dans une voiture n’est pas très efficace. On perd tout d’abord 50 % de l’énergie lors de la conversion de l’électricité en gaz, puis environ 75% lors de la conversion du gaz en énergie mécanique dans la voiture (comme avec de l’essence). L’efficacité globale n’est donc que l’ordre de 12%. De ce fait, cette filière n’est envisageable que pour des surplus momentanés d’électricité renouvelable dont on ne saurait absolument pas que faire. Il est douteux que de tels surplus existent en suffisance.
En comparaison, l’utilisation de la technologie « power-to-gaz » pour stocker pendant quelques mois l’énergie, puis en refaire de l’électricité dans les turbines à gaz est plus prometteuse. L’efficacité globale est probablement aux alentours de 30%. L’électricité ainsi stockée peut non seulement alimenter des véhicules à batterie, mais consolider l’approvisionnement en électricité dans les saisons défavorables.
4.6.4 Usage d’agrocarburants dans les moteurs à explosion.
C’est à juste titre que l’euphorie de la décennie précédente en faveur des agrocarburants est largement retombée. La production de petites quantités d’agrocarburant nécessite en effet d’énormes surfaces agricoles. Ces surfaces sont en concurrence avec les cultures alimentaires, et sont souvent gagnés sur des zones naturelles (déforestation). En outre, la culture de plantes énergétiques nécessite de nombreux intrants et engrais eux-mêmes très énergivores. Enfin, l’emploi d’agrocarburants dans un moteur à explosion demeure aussi inefficace que celui de l’essence. Bref, il s’agit clairement d’une fausse bonne idée.
Seule exception, les biocarburants faits à partir de déchets de la biomasse (déchets, fumures agricoles, déchets urbains, déchets de bois, huile végétale ou animale usagées, etc). Aussi intéressantes qu’elles soient, ces sources sont disponibles en quantité très limitées.
5 L’électrification de la mobilité routière, indispensable pour le climat
Les chapitres précédents ont permis de mettre en évidence les enjeux, que nous pouvons résumer en quatre points.
Premièrement, il y a urgence à réduire les émissions de CO2 de la mobilité, un domaine dans lequel la Suisse est à la traîne.
Deuxièmement, la mobilité individuelle motorisée couvre actuellement les trois quarts des prestations de transports terrestres de personnes. De plus, la route assure 60% des transports de marchandises, et même davantage pour le trafic intérieur.
Troisièmement, les transports ont un impact environnemental massif en termes d’énergie, de climat, de matériaux, de pollution de l’air, de bruit et d’espace. La mobilité routière représente la forme de mobilité de loin la plus problématique. En comparaison, les transports publics sont nettement moins nuisibles, de même que la mobilité douce, encore plus favorable. La traction électrique de nombreux transports publics, alimentés en direct par le réseau (train, tram, trolleybus) leur confère un grand avantage, d’autant qu’ils n’ont pas besoin de batterie.
Quatrièmement, la mobilité routière électrique présente un bilan global nettement meilleur que la traction fossile, malgré les batteries. Outre l’avantage climatique évident, la traction électrique est nettement meilleure en termes de bruit et de pollution de l’air. Le progrès technique permet par ailleurs d’escompter une réduction de l’impact négatif des batteries. L’emploi d’électricité d’origine essentiellement renouvelable est crucial pour que l’électrification de la mobilité routière soit vraiment positive pour l’environnement et le climat.
Ainsi, quasiment tous les arguments plaident en faveur d’une électrification rapide de la mobilité routière. Mais cette démarche n’a de sens que si elle s’inscrit dans le cadre d’une démarche globale d’assainissement des transports, selon les deux premiers axes suivants.
- Eviter des déplacements inutiles, en s’efforçant de réduire les besoins.
- Transférer les déplacements vers des modes de transport moins polluants.
Pour les concrétiser, il s’agit de mettre en œuvre ou de renforcer les politiques suivantes :
- L’aménagement du territoire limitant le besoin de
- Le plafonnement des capacités du réseau routier et autoroutier, car la saturation est un bon régulateur des quantités, la nature humaine détestant les bouchons.
- La promotion d’une organisation économique et sociale qui réduise la mobilité forcée et les transports inutiles.
- Le renchérissement des coûts kilométriques, du moins pour la mobilité Le développement du trafic aérien doit être freiné et renchéri.
- Le développement des transports publics, y compris des liaisons ferrovaires directes comme alternative aux vols courts-courriers.
- Le développement de la mobilité douce, sur le plan des infrastructures, de l’éducation et de la sécurité.
- La réduction de l’emprise de la circulation routière dans les zones habitées.
- Le durcissement des exigences environnementales envers les véhicules et les renforcements du contrôle.
Tous ces efforts ne suffiront cependant pas à maîtriser le défi écologique de la mobilité, car le trafic motorisé individuel n’est pas près de disparaître. La stabilisation de son volume serait déjà un succès remarquable, sachant qu’il est aujourd’hui encore en croissance.
C’est précisément pour cette raison qu’il faut aussi avancer sur l’assainissement de la mobilité routière, tant pour les personnes que les marchandises. Dans cette perspective, l’électrification du parc des voitures et les camionnettes de livraison – peut-être un jour des camions – constitue désormais une option incontournable. A notre sens, il n’y a pas de contradiction entre d’une part cette électrification et d’autre part le développement des transports publics, de la mobilité douce et un aménagement du territoire intelligent. Au contraire, ce sont les deux faces d’une même médaille.
Vu son mix électrique largement décarboné, la Suisse devrait se mettre à l’avant-garde de l’électrification. Au fur et à mesure de l’avancement, il importera de renforcer la production renouvelable de manière à éviter l’importation d’électricité sale pour faire fonctionner la voiture électrique.
La consommation additionnelle pourrait largement être compensée par l’amélioration de l’efficacité des usages actuels de l’électricité, telle que prévue par la stratégie énergétique 2050. D’ailleurs, on observe ces dernières années une stabilisation de la consommation électrique (voir 6.3)[26]. Au demeurant, même en accélérant le mouvement, l’électrification de la mobilité ne sera que progressive, vu la durée de vie des automobiles.
Enfin, comme le rappelle le Centre suisse d’évaluation des choix technologiques, l’impact global de cette électrification dépendra fortement de la manière dont celle-ci se mettra en place. Il conviendra donc de prendre les bonnes mesures.
Avant de proposer ces mesures dans le chapitre 7, il y a lieu de procéder à un bref examen de l’impact socio-économique de la transformation. C’est l’objet du chapitre suivant.
6 Appréciation socio-économique
L’électrification de la mobilité individuelle se justifie avant tout par des préoccupations environnementales, et en particulier climatiques. Néanmoins, une évaluation de l’impact socio-économique s’impose. Il convient donc d’examiner trois dimensions principales, à savoir l’impact sur les ménages suisses, l’impact social au niveau mondial et l’impact sur l’économie suisse.
6.1 Impact sur les ménages en Suisse
Comme dans beaucoup d’autres domaines de la transition énergétique, un déplacement des coûts d’exploitation s’opère vers les coûts d’investissement. La fabrication du véhicule est un peu plus chère, mais son exploitation l’est moins, en raison des moindres coûts de l’électricité et des faibles coûts d’entretien du véhicule électrique. Globalement, la plupart des études montrent que le coût total d’une voiture électrique est comparable à celui d’une voiture conventionnelle. Le fait de ne pas payer les taxes sur l’essence constitue encore un avantage fiscal non négligeable, appelé cependant à disparaître à long terme. Cette disparition sera compensée par la baisse du coût des batteries et la standardisation des composants des véhicules électriques. Il existe encore une marge de progression importante, vu que l’on est qu’au début de la technologie.
À taille équivalente, une voiture électrique est nettement plus confortable, en raison du moindre bruit et de l’absence de vibrations du moteur. C’est un avantage non monétaire pour les usagers. Il est vraisemblable que la durée de vie de la voiture (hors batterie) pourrait être plus longue, ce qui contribuerait à en réduire les coûts et à en améliorer le bilan écologique.
Les systèmes de leasing étant déjà bien développés aujourd’hui sur le marché automobile, il est vraisemblable que les vendeurs de voitures seront à même de compenser l’augmentation des coûts d’investissement en répartissant celui-ci sur la durée d’usage du véhicule. À condition de ne pas faire d’erreurs de régulation, il est probable que l’électrification débute par le segment des voitures des classes de standing plus élevé, ce qui diminue encore le risque d’impact négatif sur le pouvoir d’achat.
Il faut aussi relever que les bénéfices secondaires (bruit et qualité de l’air) seront loin d’être négligeables, en particulier le long des axes de transports, où habitent souvent les groupes de populations les plus défavorisées.
6.2 Impact socio-économique global
Au plan social, les conséquences d’une perte de maîtrise du climat et d’un réchauffement massif seraient absolument dramatiques. L’assèchement et le réchauffement insupportables de certaines régions du monde, les excédents d’eau dans d’autres et la montée du niveau des mers de 60 à 100 cm pourraient forcer des centaines de millions de personnes à prendre les chemins de la migration. Ce sont autant de personnes qui seraient privées de conditions de vie décentes. La maîtrise du réchauffement climatique préserve donc les populations les plus faibles de la planète de grandes calamités. Ainsi, pour elles, l’électrification est clairement favorable.
À l’aune de la gravité des problèmes climatiques, les incertitudes quant au bilan écologique exact des batteries (hors combustion) pèsent relativement peu, même s’il faut absolument tout faire pour en limiter l’impact.
6.3 Impact sur l’économie suisse
La Suisse ne construisant actuellement aucune voiture à traction fossile, elle n’est pas directement impactée par la transformation des chaînes de fabrication. De nombreux sous-traitants de l’industrie automobile y sont actifs, mais leur agilité et le positionnement pointu de la Suisse en matière technologique les placent en pole position pour la transformation. Pour ne citer que deux exemples : il existe une entreprise suisse qui fabrique des bornes de chargement, et une autre qui est à la pointe des systèmes de chargement à induction des voitures électriques (c’est- à-dire sans câble). Notre pays dispose d’une bonne expérience pratique de coopération entre transports publics et mobilité individuelle. L’assainissement écologique de la mobilité routière constitue indéniablement une chance pour l’économie suisse. Cela plaide pour une transition rapide.
Au plan de la facture énergétique, l’impact sera très positif. La Suisse consomme actuellement 6 milliards de litres de diesel et d’essence par an. Le coût brut de ces carburants à l’importation oscille suivant les années entre 3 et 6 milliards de francs, selon les cours de change et le prix du baril. A la colonne, les ménages et les entreprises dépensent entre 8 et 12 milliards par ans, TVA comprise. Ce prix comprend entre 5 et 6 milliards de taxes (taxation fixe des huiles minérales, et TVA proportionnelle au prix). Ces dépenses ont un impact majeur sur le pouvoir d’achat des ménages et les charges des entreprises.
L’électrification complète des voitures nécessiterait environ 12 térawatt-heures, soit un cinquième de la consommation électrique actuelle. A noter que le Centre suisse d’évaluation des choix technologiques fournit une estimation qui est même nettement plus basse[27]. En allant plus loin et en admettant le remplacement complet du diesel et de l’essence par de l’électricité (pour tous les véhicules), il y aurait besoin d’une vingtaine de TWh. Si cette demande était entièrement couverte par de nouvelles installations indigènes dont les coûts totaux sont de 15 ct le KWh, la mise à disposition de cette énergie coûterait 3 milliards (seulement l’énergie, sans timbres ni taxe). Il s’agit d’un coût maximum, puisqu’il est aussi probable que l’on utiliserait la production d’installations déjà amorties (en moyenne 7 à 8 centimes). A relever qu’au prix de dumping de la bourse électrique, à 5 centimes, ces 20 TWh par année ne coûteraient qu’un milliard, mais que ce tarif n’est pas durable. Compte tenu du fait que l’infrastructure de distribution électrique existe déjà et ne nécessite que des renforcements ponctuels, et que l’on mélangerait la production d’installations existantes et anciennes, le coût de l’énergie électrique de la mobilité pourrait avoisiner les 2 milliards, distribution comprise. Elle serait ainsi dans tous les cas bien inférieure aux 3 à 6 milliards avant taxe dépensés aujourd’hui pour l’essence et diesel. Pour donner un ordre de grandeur, l’entier de la facture électrique en Suisse est de 9 à 10 milliards (énergie, réseau et taxes), pour quelques 60 TWh annuels, alors qu’il est question de 12 à 20 TWh pour la mobilité.
Ce résultat n’est absolument pas surprenant, c’est précisément cette modicité des coûts à l’usage qui contrebalance les coûts d’acquisition de la voiture électrique. Du point de vue de l’économie nationale, il faut tenir compte du fait qu’une grande partie de la dépense pour la production d’électricité aurait lieu en Suisse, alors que la matière première pétrolière est entièrement importée. Pour la branche électrique suisse, passablement malmenée ces dernières années, il s’agit d’une chance.
Au plan socio-économique, il n’y a donc aucun inconvénient substantiel à électrifier la mobilité individuelle, mais passablement d’avantages.
7 Mesures
7.1 Situation de départ
Pour l’instant, la part des voitures électriques est très modeste en Suisse[28]. En 2017, seules 1,6% des nouvelles voitures mises en circulation étaient purement électriques, et 3,7% étaient des hybrides (dont un tiers pouvaient être chargées à la prise).
Situation actuelle sur le marché des nouvelles voitures[29]
Comme on le constate sur ce graphique, l’évolution est très encourageante, mais totalement insuffisante face à l’enjeu climatique, dès lors que l’objectif consiste à décarboner entièrement notre mode de vie à l’horizon 2050. Il convient d’accélérer le mouvement.
Si les véhicules électriques atteignent 10 % des nouvelles immatriculations 2020, 30 % de 2025 et 50% en 2030, on peut estimer qu’en 2032, 30 % du parc existant sera électrifié. La relativement longue durée d’utilisation des véhicules (15 ans) explique cette lenteur de l’évolution du parc.
7.2 Lignes directrices
La stratégie générale que nous proposons est la suivante :
- L’objectif est de substituer la mobilité individuelle fossile par la mobilité individuelle électrique.
- L’électricité de la mobilité doit pour l’essentiel provenir de sources d’origine
- Les mesures prises ne doivent en aucun cas générer un accroissement du kilométrage automobile, pénaliser les transports publics ou défavoriser la mobilité
Il convient d’éviter « l’effet rebond », c’est-à-dire que l’électrification de la mobilité individuelle ne conduise à une augmentation du kilométrage parcouru. Ce rebond pourrait être induit par des paramètres économiques : l’argent économisé par l’utilisation de la voiture électrique serait immédiatement réemployé pour des kilomètres additionnels en voiture, ou dans le pire des cas en avion. Aussi longtemps que les coûts totaux d’une voiture électrique (investissement et usage) sont comparables à ceux d’une voiture conventionnelle, le risque demeure relativement limité, même si le coût marginal d’un kilomètre additionnel est bas. En matière de trafic aérien, il est plausible que ce type d’effet ait, via l’abaissement des prix, contribué à l’explosion de la consommation. D’où l’importance de ne pas abaisser le prix de la mobilité !
Mais le rebond pourrait aussi provenir d’un effet psychologique et moral, que l’on pourrait qualifier d’un « effet margarine » : celui que l’on observe chez les personnes qui remplacent le beurre par la margarine en espérant perdre du poids, mais qui finissent par s’autoriser à manger davantage « vu que c’est de la margarine ». Pour jauger ce risque, il faudrait connaître la part des automobilistes qui, par conscience écologique, se restreignent substantiellement dans la longueur et la fréquence de leurs trajets. Et évaluer quelle part serait désinhibés par l’achat d’un véhicule électrique.
Pour ma part, je doute de l’ampleur de cet « effet margarine », parce que le degré d’inhibition dans l’usage de la voiture me semble bas. Et si cet effet de conscience écologique était fort, il devrait aussi avoir un effet modérateur sur la consommation de trajets en avions, ce qui ne semble pas être le cas.
Au demeurant, la saturation des infrastructures routières ne rend pas très attractif une augmentation du kilométrage que chacun parcourt. Le budget-temps que les gens sont disposés à consacrer à leurs déplacements n’est pas illimité. L’apparition de véhicules sans conducteurs pourrait modifier cette donne, mais le problème environnemental serait alors encore plus aigu si l’on ne procède pas à l’électrification.
7.3 Mesures fédérales
A ce jour, il n’y a pas eu de positionnement très clair de la Confédération en faveur de la mobilité électrique, à l’exception aussi heureuse qu’anecdotique de l’achat médiatisé par Cheffe du DETEC d’un véhicule électrique.
Différents types de mesures suivantes doivent être envisagées au niveau fédéral. Nous les classons en quatre groupes : 1. Communication, 2. Facilitation, 3. Incitations et obligation contraignantes et 4. Mesures d’amélioration du bilan écologique de la mobilité individuelle électrique.
7.3.1 Pour un discours clair de la Confédération en faveur de l’électrification
La Confédération, en collaboration avec d’autres partenaires, doit mener une campagne de communication recommandant l’achat de véhicules électriques, avec trois axes :
- Recommandation d’achat en faveur des véhicules électriques (ou hybrides rechargeables).
- Conseil d’achat de véhicules plutôt économes, en mettant également en évidence les alternatives comme la location et l’auto-partage lorsque les automobilistes ont temporairement besoin d’un véhicule plus gros ou plus
- Recommandation d’acheter de l’électricité renouvelable ou d’utiliser son propre courant
7.3.2 Mesures de facilitation à l’intention des usagers
Les mesures de facilitation suivantes nous paraissent adéquates :
- Etablir dans la loi fédérale une obligation d’équiper partiellement chaque parking public de plus de 10 places de bornes électriques de recharge. Pour les parkings d’entreprises de plus de 20 places, la même mesure doit être prise. Les places le long des rues ne seraient pas concernées. Bien entendu, les places équipées sont réservées pour les voitures électriques. Le courant mis à disposition doit obligatoirement être d’origine renouvelable. Ces installations pourraient être considérées comme des investissements de protection de l’environnement déductibles fiscalement ou amortissable en 2 ans.
- Instaurer pour les locataires et les copropriétaires le droit d’installer, à leurs frais, une borne de recharge électrique dans les parkings des
- Prévoir dans le droit de l’électricité que celui qui recharge son véhicule avec son propre courant solaire puisse, pendant les 10 premières années après la construction de l’installation solaire, être exempté du timbre pour transport de sa propre électricité qu’il charge ailleurs qu’à son domicile. Il sera donc possible, sans surcoût, de charger son véhicule sur son lieu de travail avec le courant produit en temps réel à son domicile. En autorisant cette autoconsommation à distance, on incite à investir dans des installations solaires, et à être ambitieux dans leur
- Autoriser les communes à limiter certaines zones d’accès aux véhicules électriques (« Lex Zermatt »), comme c’est le cas à l’étranger dans certaines villes
- Obligation d’interopérabilité des bornes publiques et semi-publiques (p. sur parking d’hôtel ou d’entreprises)[30] : chacun doit accéder à toutes les bornes de recharge sans surcoût par rapport à ce qu’il paye à son fournisseur
- Même si les véhicules électriques sont par nature libérés de la taxe sur les carburants, il n’est pas opportun dans un premier temps de compenser cet avantage par une contribution financière aux infrastructures routières (à l’exception de la vignette autoroutière). Une telle contribution ne pourra être introduite progressivement que lorsque la dynamique sera suffisante, par exemple dès que le seuil de 40% des nouvelles immatriculations électriques aura été atteint. A ce moment-là, la taxation pourrait être proportionnelle à l’électricité consommée, pour favoriser les véhicules électriques les plus économes et décourager les kilomètres additionnels.
7.3.3 Incitations et obligations
Dans plusieurs secteurs, il est envisageable de rendre obligatoire l’électrification totale ou partielle. A cet effet, les mesures suivantes pourraient être prises :
- Obligation d’électrifier les flottes de camionnettes de livraison à partir d’une certaine taille et d’un certain kilométrage annuel, à déterminer. C’est de toute manière avantageux économiquement[31]. Cette obligation devrait être étendue aux sous-traitants. Cette obligation est d’autant plus justifiée que les véhicules de livraisons de moins de 3,5 tonnes ne sont pas soumis à la redevance poids-lourds à la prestation (RPLP) et bénéficient actuellement d’un avantage fiscal discutable par rapport aux camions. La contre-partie devrait être l’électrification.
- Aujourd’hui, les entreprises de transports publics concessionées sont largement exemptées de la taxe et de la surtaxe sur les huiles minérales. Il s’agit d’une véritable subvention du diesel qui casse la rentabilité de l’électrification des autobus. Cette exemption devrait être supprimée, sauf éventuellement à titre transitoire pour les entreprises qui s’engagent par contrat à électrifier progressivement leur flotte d’autobus, afin de leur octroyer une plus grande marge de manœuvre financière.
- Fixer des parts minimales de véhicules électriques dans les nouvelles immatriculations : par exemple selon une courbe passant par 10 % en 2020, 30 % en 2025 et 50 % 2030. Si les importateurs automobiles ne respectent pas cet objectif, la loi fédérale doit prévoir des sanctions, par analogie avec le système des limitations d’émissions de CO2. L’obligation de vendre une proportion élevée de véhicules électriques incitera les constructeurs à proposer des modes de financement permettant de répartir les surcoûts initiaux sur la durée de vie du véhicule et/ou sur les kilomètres. D’ailleurs, certains d’entre eux le font déjà. Comme mesure alternative, on pourrait soutenir financièrement l’achat de véhicules électriques en y consacrant une part des moyens financiers provenant de l’obligation de compenser les émissions des carburants (le cumul des deux mesures serait illogique).
- En complément de la mesure précédente, cesser de comptabiliser les voitures électriques dans le dispositif de limitation des émissions de CO2 à 95 gr par km en moyenne d’une flotte. En effet, ce dispositif conduit à ce que chaque immatriculation d’un véhicule électrique abaisse la moyenne d’émissions par véhicule de l’importateur et lui permette ainsi, en contrepartie, de vendre plusieurs gros SUV polluants. La suppression de ce dispositif obligera immédiatement les vendeurs de grosses voitures à commercialiser principalement des véhicules électriques ou hybrides-rechargeables. S’agissant d’un segment au pouvoir d’achat élevé, cela ne pose pas de problème.
- Au plus tard en 2040, il faut interdire la commercialisation du moteur à explosion, comme prévu dans plusieurs pays européens.
7.3.4 Mesures d’amélioration du bilan écologique de la mobilité individuelle électrique
La mobilité routière électrique doit être encadrée de manière à être le plus efficace possible au plan environnemental et à s’insérer intelligemment dans le système énergétique global. A cet effet, les mesures suivantes doivent être adoptées :
- Renforcer les programmes de recherche pour le stockage d’électricité dans les véhicules et dans les infrastructures stationnaires. Il s’agit non seulement du stockage quotidien, mais aussi hebdomadaire et saisonnier. Dans les deux cas, l’objectif consiste à baisser les coûts et à en réduire l’impact écologique.
- Renforcer les efforts de remplacement du chauffage électrique direct de manière à limiter la charge électrique hivernale. Cette saison est en effet critique pour l’approvisionnement électrique et il convient de dégager les capacités pour couvrir la consommation des véhicules électriques.
- Utiliser une partie des moyens destinés à compenser les émissions CO2 du trafic automobile pour cofinancer de la production additionnelle et du stockage d’électricité renouvelable.
- Reprendre les dispositions européennes obligeant les fabricants de véhicules électriques de reprendre 100% des batteries pour traitement adéquat (essentiellement du recyclage)[32]. Cette directive introduit une « responsabilité élargie du producteur ».
7.4 Mesures cantonales et communales
De nombreux cantons ont déjà adopté des dispositifs fiscaux d’encouragement de la mobilité électrique, en particulier une exemption partielle ou totale de l’impôt sur les véhicules à moteur. Ces dispositifs doivent être maintenus un certain temps.
Dans leurs prises de positions sur la nouvelle politique climatique, les cantons ont à juste titre critiqué le manque d’ambition de la Confédération en matière de mobilité, qui est pourtant un domaine largement de sa compétence. Le large éventail de mesures proposées ci-dessus pour l’échelon fédéral reflète cette répartition des compétences. Néanmoins, à l’échelon cantonal et communal, plusieurs mesures sont envisageables :
- Détenteurs de vastes flottes de véhicules, les cantons, les communes et leurs entreprises de service public se doivent d’être exemplaires en matière d’électrification.
- En matière de gestion de la circulation et d’aménagement du territoire, les communes et les cantons peuvent par exemple réserver l’accès à certaines zones aux voitures électriques.
- Les cantons peuvent charger les gestionnaires de réseau électrique de mettre en place des bornes publiques ou de prendre des mesures favorables à la mobilité. Ils en ont la compétence en vertu de l’article 5 de la loi sur l’approvisionnement en électricité (LApEl) .
- L’encouragement et la facilitation de l’auto-partage (mobility et analogue) représente une mesure importante. Elle incite les automobilistes à acheter plutôt des petites voitures électriques, sachant qu’ils disposent cas échéant de la possibilité d’emprunter de grosses voitures, conventionnelles ou électriques, s’ils ont de longs trajets à parcourir ou des besoins particuliers.
8 Conclusion et perspectives
Toute nouvelle technologie comporte par nature des risques qu’il est difficile d’évaluer de manière suffisante. Dans ce rapport, nous avons tenté d’en tenir compte, mais sans avoir la prétention de lever complètement les incertitudes.
L’urgence climatique impose cependant une action rapide pour réduire les émissions de CO2 de la mobilité routière, un domaine trop largement laissé en jachère à ce jour. Pour y parvenir, l’électrification de la traction offre pour l’instant clairement la meilleure option, et c’est la seule qui permet d’espérer une amélioration qui soit quantitativement à la hauteur du problème.
Comme nous l’avons à maintes reprises souligné dans le rapport, cette électrification n’a de sens que si elle s’accompagne d’une politique de transfert modal vers les transports publics et la mobilité douce ainsi que d’une stratégie pour contenir le volume global des déplacements.
L’expérience faite dans d’autres domaines, comme la technique du bâtiment, l’utilisation de l’électricité ou la production d’énergie renouvelable, montre que le changement technologie peut apporter un progrès décisif. Nous aurions tort de nous en priver pour la mobilité.
Par analogie, imaginons quelle serait la situation en Suisse si nous n’avions pas développé les techniques d’isolation du bâtiment, de chauffage renouvelable ou de pompes à chaleur ? Il est évident que nos émissions seraient bien supérieures à ce qu’elles sont aujourd’hui. Et il est peu probable qu’en lieu et place du progrès technique, nous aurions simplement diminué les surfaces chauffées pour réduire les émissions !
Si la consommation d’électricité s’est stabilisée en Suisse depuis bientôt 10 ans malgré la croissance économique et démographique, c’est évidemment largement dû au progrès technologique, par exemple dans l’éclairage, dans l’électronique de puissance et dans la gestion. Autre exemple : en Europe, l’intensité en CO2 de la production d’électricité a baissé de 36 % en une vingtaine d’années. Sans la transformation disruptive des méthodes de production d’électricité, et en particulier le développement de l’éolien du solaire, cette évolution n’aurait pas été possible. Ces constats ne doivent pas conduire à une foi béate dans le progrès technique, mais nous rappellent que nous aurions tort de ne pas exploiter ces possibilités.
Il s’agit aussi de se projeter dans une perspective dynamique : la traction fossile ne fait plus de progrès et son bilan écologique se dégrade en raison des conditions d’extraction du pétrole. À l’inverse, la traction électrique peut encore s’améliorer et fera assurément des progrès sur plusieurs points : impact environnemental des batteries et des moteurs, production d’électricité renouvelable, durée de vie ou nouvelle conception des véhicules, en les allégeant et en tirant parti de la petitesse du moteur électrique. Avec quelques 2 millions de voitures électriques en circulation monde, nous ne sommes qu’au début de cette révolution industrielle. On peut comparer ce chiffre au quelque 1.4 milliards de voitures en circulation sur la planète[33] .
Au fil de ce rapport, nous avons souligné que la manière dont sera conduite et encadrée l’électrification influera sur le résultat global. Il s’agira aussi de suivre les évolutions sociétales et technologiques :
- L’électrification des voitures et des camionnettes permettra dans le meilleur des cas de construire des véhicules plus légers et plus durables, sans perte de sécurité grâce à la digitalisation.
- La tendance à la multimodalité et au car-sharing – centralisé ou horizontal – offre de nouvelles opportunités. La digitalisation – cas échéant jusqu’à la conduite automatique– pourrait modifier en profondeur les habitudes, notamment en passant à une logique d’utilisation plutôt que de propriété. Il y a un potentiel pour favoriser une meilleure complémentarité, mais aussi des risques.
- Le transport marchandise à courte distance (distribution fine) pourrait être révolutionné par l’électrification, mais aussi par de nouveaux systèmes comme le projet cargo-souterrain.
- Les comportements des usagers évoluent également, si l’on pense à la croissance du trafic aérien ou inversement à la diminution du taux de possession du permis de conduire chez les jeunes.
- Les choix et les préférences des usagers jouent un rôle important, comme l’illustrent la mode absurde des SUV ou, à l’inverse, l’émergence d’une génération pour qui la voiture n’est plus guère un objet de prestige. Génération qui considère par ailleurs aussi normal de prendre l’avion que le skilift.
L’électrification de la mobilité routière pourrait également faire évoluer notre rapport à celle-ci : peut-être nous aidera-t-elle à remettre en question le rapport quelque peu animal que beaucoup d’entre nous ont avec les chevaux rangés sous leur capot ?
En parvenant enfin à progresser dans l’assainissement de la mobilité routière, nous inciterons aussi les autres secteurs à faire mieux. C’est évident dans le domaine du trafic aérien, dans lequel notre inaction est inadmissible. Mais d’autres domaines sont susceptibles de faire beaucoup mieux, comme l’agriculture moderne et les habitudes d’alimentation qu’elle induit, ou les processus industriels. Enfin, en faisant sauter le tabou des émissions de CO2 la mobilité routière, nous stimulerons des secteurs qui, malgré ou en raison de progrès importants, pourraient s’endormir sur leurs lauriers. On pense notamment au secteur du bâtiment et de la production d’électricité.
Ainsi, l’électrification de la mobilité routière pourrait contribuer à déclencher un vaste cycle de progrès dans le dossier énergétique et climatique, en plus de ses avantages concrets.
Notes et références
[1] Graphique établi à partir de https://www.bafu.admin.ch/dam/bafu/fr/dokumente/klima/fachinfo-daten/entwicklung_der_emissionenvontreibhausgasenseit1990april2016.xlsx.download.xlsx/evolution_des_emissionsdegazaeffetdeserredepuis1990.xlsx
[2] Source : https://www.bafu.admin.ch/dam/bafu/fr/dokumente/klima/fachinfo- daten/emissionen_von_treibhausgasennachrevidiertemco2-gesetzundkyoto- p.pdf.download.pdf/CO2_Publikation_fr_2017-07.pdf.
[3] https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/mobilite-transports/transport-personnes/prestations.html
[4] P. 7 de Astra, Verkehrsentwicklung und Verfügbarkeit der Nationalstrassen Jahresbericht 2016 https://www.astra.admin.ch/astra/de/home/themen/nationalstrassen/verkehrsfluss-%20stauaufkommen/verkehrsfluss-nationalstrassen.html .
[5] Source des chiffres : OFS T 11.4.1.2
[6] OFS, Comportement de la population en matière de transports, Résultats du microrecensement mobilité et transports 2015 P. 39. https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/mobilite-transports/transport-personnes/comportements-transports.assetdetail.1840478.html.
[7] https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/mobilite-transports/themes-transversaux/aviation-civile.assetdetail.3322907.html et microrescensement idem, pg 76.
[8] https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/mobilite-transports/transport-marchandises/prestations.html
[9] Source : https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/mobilite-transports/transport-marchandises/prestations.assetdetail.3802253.html
[10] https://www.bafu.admin.ch/dam/bafu/fr/dokumente/klima/fachinfo-daten/entwicklung_der_emissionenvontreibhausgasenseit1990april2016.xlsx.download.xlsx/evolution_des_emissionsdegazaeffetdeserredepuis1990.xlsx.
[11] Sources données page 17 de : OFEN, Indicateurs de l’évolution des émissions de gaz à effet de serre en Suisse 1990–2015 (le graphique compte aussi les cars privés et les motos, ce qui s’annule à peu près. Globalement, il reflète bien l’évolution des émissions des voitures. Attention les chiffres sont plus élevés que dans le graphique suivant, où l’on tient compte du fait que les voitures sont occupées environ par 1,5 personnes en moyenne).
[12] Voir pg 10 Rapport 2016 du DETEC sur les Effets des prescriptions relatives aux émissions de CO2 pour les voitures de tourisme entre 2012 et 2015. https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/46866.pdf 10 OFS, Mobilité et Transports, 2013 , pg 74
[13] Calculs : R. Nordmann sur la base de OFS T 11.4.1.1, inventaire CO2 OFEV, Stat électricité 2013 OFEN
[14] https://www.bafu.admin.ch/bafu/fr/home/themes/air/info-specialistes/effets-de-la-pollution-atmospherique.html
[15] Source : https://www.bafu.admin.ch/dam/bafu/fr/dokumente/luft/uz-umwelt-zustand/nabel-luftqualitaet2016.pdf.download.pdf/nabel-la-qualite-de-lair-2016.pdf page 10 et 18.
[16] Source : OFS, Mobilité et Transports, 2013 , pg 77
[17] OFS, Mobilité et Transports, 2013 , pg 74
[18] Graphique de Roger Nordmann, Libérer la Suisse des énergies fossiles, Ed. Favre, 2010.
[19] Lien vers le document de T&E 2017 : https://www.transportenvironment.org/press/electric-%20cars-emit-less-co2-over-their-lifetime-diesels-even-when-powered-dirtiest-electricity
T&E s’est beaucoup basée sur : Anders Nordelöf & Maarten Messagie & Anne-Marie Tillman & Maria Ljunggren Söderman & Joeri Van Mierlo, (2014), Environmental impacts of hybrid, plug-in hybrid, and battery electric vehicles—what can we learn from life cycle assessment? Lien: https://link.springer.com/content/pdf/10.1007%2Fs11367-014-0788-0.pdf.
[20] https://www.eea.europa.eu/data-and-maps/indicators/overview-of-the-electricity-production-2/assessment
[21] Fondation pour la Nature et l’Homme, ADEME et European climate founadtion, M. Chéron, A. Gilbert- d’Halluin, A. Schuller, 2017, Quelle contribution du véhicule électrique à la transition écologique en france ? Enjeux environnementaux et perspectives d’intégration des écosystèmes Mobilité et Energie. http://www.fondation-nature-homme.org/magazine/quelle-contribution-du-vehicule-electrique-la-transition- energetique/
[22] Voir par exemple : https://www.amnesty.ch/fr/pays/afrique/nigeria/docs/2015/pollution-petroliere-les-fausses-declarations-de-shell
[23] http://www.tesla-mag.com/tesla-longevite-batteries-question/
[24] Notter, D.A., Gauch, M., Widmer, R., Wager, P., Stamp, A., Zah, R., Althaus, H.J. (2010). Contribution of Li-Ion Batteries to the Environmental Impact of Electric Vehicles. Environmental Science & Technology 44(17): 6550–6556 (étude disponible sous : https://pubs.acs.org/doi/pdf/10.1021/es903729a )
[25] Source de l’image : https://www.siemens.com/innovation/de/home/pictures-of-the-future/mobilitaet-uns-antriebe/elektromobilitaet-ehighway-schweden.html.
[26] https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/50717.pdf.
[27] pg 154 de Peter de Haan, Rainer Zah et allii: Chancen und Risiken der Elektromobilität, centre d’évaluation des choix technologiques, 59/2013 Hochschulverlag 2013 https://www.ta-swiss.ch/fr/projets-et- publiations/mobilite-energie-climat/electromobilite/
[28] https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/mobilite-transports/infrastructures- transport-vehicules/vehicules/routiers-mises-circulation.html.
[29] https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/catalogues-banques- donnees/tableaux.assetdetail.4382269.html.
[30] Voir la Directive européenne 2014/94/UE http://eur-lex.europa.eu/legal-%20content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32014L0094&qid=1518435318384&from=FR
[31] Voir : https://www.transportenvironment.org/press/small-electric-vans-cost-same-dirty-diesel-ones-today-are-short-supply
[32] Notamment directive2006/66/CE : http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?qid=1518434682574&uri=CELEX:32006L0066