Pourquoi le financement “moniste” des soins fera exploser les coûts de la santé

Explication de l’objet 09.528 Intitiative parlementaire Humbel 

(Traitement jeudi 26 septembre 2019 au Conseil national)

Le point de départ, c’est une idée juste, à savoir que le choix entre un traitement impliquant de passer une nuit à l’hôpital et un traitement ambulatoire doit être fait en fonction de considérations médicales et d’efficacité, et non pas simplement en raison de modalités tarifaires divergentes. Il s’agit d’homogénéiser le financement entre d’une part les hôpitaux, qui sont actuellement financés à 45% par les cantons et à 55% par les assureurs maladie, et d’autre part les soins ambulatoires en cabinet ou en hôpital, financés actuellement à 100% par l’assurance-maladie.

Régler ce problème selon le principe de la bonne foi aurait consister à accompagner le changement en prenant des mesures accessoires  pour maintenir les coûts à leur niveau actuel. Or, au lieu de d’assurer qu’il n’y aura pas une explosion des prestations inutiles, la commission, infestée par le lobby des assurances maladie et les cliniques privées, a fait exactement inverse.

D’abord le comment, et ensuite pourquoi.

Premier pas : on instaure le nouveau système en décidant que les cantons participent pour environ un quart à toutes les factures de prestataires de santé (cabinet médicaux et hôpital figurant sur la liste Lamal, mais pas les cliniques privées hors liste lamal).  C’est l’essence de la réforme.

Le deuxième  pas est le corollaire logique du premier : tous les  prestataires de soin, y-compris les cliniques hors liste LAMAL, ont le droit de facturer 75%  à l’assurance de base pour les prestations qu’elles fournissent. Ce deuxième point est déjà plus discutable : pourquoi les cliniques non-nécessaires à couvrir les besoins sont-elles traitées si généreusement ?

Le troisième  pas est une omission : on ne prévoit aucune limitation quantitative à l’offre des cliniques privées hors liste Lamal. Les cliniques peuvent multiplier les lits, l’offre et les actes qu’elles facturent à la LAMAL. L’assurance de base ne peut pas refuser de payer.

Le quatrième pas : on donne aux seules caisses-maladies le droit du contrôle formel des factures. Le canton est réduit à l’état de payeur servile. Il verse mathématiquement 1 franc supplémentaire lorsque l’assurance paye 3 fr. (sauf pour les cliniques hors liste lamal).

Quelle est la conséquence pratique : 

Comme les cliniques prives pourront facturer 75% de leur coûts à l’assurance de base, au lieu de 45% aujourd’hui, leur rentabilité augmente drastiquement.  Comme ces cliniques ne fournissent pas de prestations d’intérêt général et sélectionnent les patients en évitant les cas difficiles, l’absence des  25%, soit la part cantonale qu’elles ne touchent pas, ne les pénalisent guère. Les 75% leur suffisent largement pour être rentables, d’autant qu’elles peuvent de surcroit facturer à l’assurance privée. L’offre va se surmultiplier, et faire exploser la charge pour l’assurance de base.

De facto, on supprime l’outil de la liste des hôpitaux pour contrôler l’offre hospitalière, tout simplement parce que qu’avec cette réforme,  le chiffre d’affaire que peut facturer une clinique qui est hors de la liste augmente fortement. La différence économique entre figurer sur la liste lamal et ne pas y figure ne pèse plus très lourd.

Appréciation et effet sur les primes

Du point de vue des promoteurs de ce dispositif, c’est le casse du siècle :

  • les cliniques privées pourront désormais financer l’essentiel de leurs coûts sur le dos de l’assurance de base, sans restriction du volume.
  • Les assureurs-maladie pourront offrir des polices complémentaires attractives pour des séjours en cliniques,  sans limite de quantité, parce que le socle des coûts est payé par l’assurance de base.
  • Les assurances-maladie s’empareront du pilotage du domaine hospitalier aux dépens de la planification hospitalière cantonale, avant de s’octroyer ultérieurement le droit de sélectionner les médecins (un cinquième pas qui est provisoirement écarté, mais qui reste le but ultime des assureurs)
  • Et comme tous les chiffres d’affaires gonflent, il va sans dire que le montant absolu des frais administratifs et des salaires de dirigeants peuvent discrètement augmenter.

Bien entendu, malgré cette augmentation massive du chiffre d’affaires, il n’y aura pas un seul malade qui sera mieux soigné.

Mais surtout, qui dit augmentation du chiffre d’affaires, dit que quelqu’un le payera, car dans leur dispositif, les lobbys de la commission de la CSSS-N ont omis de prévoir une imprimerie pour billets de banque.

Il faut donc répondre à la question cruciale : d’où viendra ce chiffre d’affaires supplémentaires ? Eh bien c’est tout simple : le volume payé par les assurés via les primes ne cessera d’augmenter, ce qui pèsera aussi sur les cantons en raison de la nécessiter d’abaisser les primes.

Sous couvert d’optimisation technocratique apparemment de bon sens, on a désormais établi une « machine à jeter l’argent par la fenêtre ». Et plutôt un modèle de forte puissance.

Tout ceci au détriment des assurés et des cantons, et donc indirectement des contribuables. En termes médicaux, on pourrait dire que le remède proposé ici est clairement pire que le mal et mérite d’être refusé à ce stade. C’est pire qu’une privatisation : c’est une privatisation des bénéfices avec socialisation des coûts.