Initiative de résiliation : le grand saut dans le vide !

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Pour promouvoir son initiative contre les accords bilatéraux, l’UDC tente d’instrumentaliser la crise du coronavirus. Elle essaye de jouer sur la peur du chômage et l’obsession des frontières pour couper la Suisse de son environnement naturel.

En réalité, c’est l’acceptation de cette initiative qui précipiterait la Suisse dans une crise sans précédent. Après l’expérience du 9 février 2014, ce risque ne doit pas être pris à la légère.

Ce document analyse le texte de l’initiative et montre les nombreux effets pervers de la démarche.

Table des matières

1       Introduction

2       Les 4 dominos du Swissexit

2.1        Domino 1 : liquidation de la libre circulation des personnes

2.2        Domino 2 : chute du premier paquet d’accord bilatéraux

2.3        Domino 3 : disparition des mesures d’accompagnement

2.4        Domino 4 : chute probable de la coopération Schengen et Dublin

3       Le chaos comme seul horizon

3.1        Le grand saut dans le vide juridique

3.2        S’obliger à négocier avec le pistolet sur la tempe…..

4       L’initiative ne garantit en rien la diminution de l’immigration

5       L’initiative crée une quantité de nouveaux problèmes

5.1        Aggraver la récession en cassant les exportations et le tourisme

5.2        Dégrader la situation sur le marché du travail

5.3        Isoler la Suisse de son environnement naturel

6       L’initiative est inutile et liberticide

6.1        La Suisse bénéficie massivement de l’immigration

6.2        La libre circulation est une valeur humaniste

7       Disqualification, incertitude et paralysie

1  Introduction

En théorie, une initiative populaire a pour but d’apporter une solution constructive à un problème existant ou d’améliorer une situation insatisfaisante. Mais le droit d’initiative n’a pas de limite. Il permet aussi de soumettre au peuple des idées dangereuses.

La proposition soumise au vote le 27 septembre appartient malheureusement à cette dernière catégorie:

  • Premièrement, elle oblige la Suisse à casser ses liens avec l’Europe.
  • Deuxièmement, elle prétend résoudre une crise qui n’existe pas.
  • Troisièmement, elle crée une série de problèmes graves qui n’existeraient pas sans elle.

Le débat sur cette initiative ne peut pas ignorer ces trois fautes majeures.

Par définition, une initiative populaire cherche à modifier le texte de la Constitution. Avant de décrypter l’effet de cette initiative sur les personnes, la société, l’économie et le pays, il convient d’en examiner la formulation. En effet, le texte proposé déploie des effets juridiques en cascade qui ne sont pas visibles au premier coup d’œil. Il faut bien les comprendre pour mesurer son impact.

    • L’initiative ne parle que de la libre circulation des personnes, alors qu’elle bouleverse toute notre relation avec l’Europe.

 

2  Les 4 dominos du Swissexit

Une fois de plus, l’UDC tente d’avancer masquée. Elle essaye de faire passer une initiative brutale pour une réforme modérée.

2.1  Domino 1 : liquidation de la libre circulation des personnes

L’astuce est classique. On choisit un titre rassurant « Pour une immigration modérée (initiative de limitation) »,  sans rapport avec la radicalité du contenu. Or le texte constitutionnel proposé ne  demande rien de moins que la résiliation de l’accord existant sur la libre circulation des personnes :

Art. 121b Immigration sans libre circulation des personnes
1 La Suisse règle de manière autonome l’immigration des étrangers.

2 Aucun nouveau traité international ne sera conclu et aucune autre nouvelle obligation de droit international ne sera contractée qui accorderaient un régime de libre circulation des personnes à des ressortissants étrangers.
3 Les traités internationaux et les autres obligations de droit international existants ne pourront pas être modifiés ni étendus de manière contraire aux al. 1 et 2.

Art. 197, ch. 12
12. Disposition transitoire ad art. 121b (Immigration sans libre circulation des personnes)
1 Des négociations seront menées afin que l’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse d’une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes  cesse d’être en vigueur dans les douze mois qui suivent l’acceptation de l’art. 121b par le peuple et les cantons.

2 Si cet objectif n’est pas atteint, le Conseil fédéral dénonce l’accord visé à l’al. 1 dans un délai supplémentaire de 30 jours.

L’article 197 chiffre 12 ne laisse planer aucun doute. L’accord existant sur la libre circulation des personnes doit avoir disparu, soit douze mois après l’approbation de l’initiative au terme d’une négociation avec l’UE, soit un mois plus tard par une dénonciation unilatérale du Conseil fédéral. Dans ce dernier cas, l’accord prévoit de cesser d’être en vigueur 6 mois après la notification. Ainsi, au plus tard 7 mois après l’écoulement du délai de 12 mois, soit au plus tard 19 mois après un éventuel succès du texte dans les urnes, l’accord existant sur la libre circulation est liquidé.

    • Dix-neuf mois après la votation, l’accord LCP cesse automatiquement d’être en vigueur, sans sursis possible et sans plus aucune discussion.


 

2.2  Domino 2 : chute du premier paquet d’accord bilatéraux

Si l’accord sur la libre circulation des personnes est supprimé, alors six autres accords disparaissent automatiquement.

En effet, les sept premiers accords bilatéraux sont étroitement liés par une clause formelle dite « clause guillotine ». Celle-ci prévoit que si l’un d’entre eux cesse d’être en vigueur, les six autres tombent également.

Autrement dit, en cas d’acceptation de l’initiative, c’est l’ensemble du premier paquet des accords bilatéraux sectoriels de 1999 qui disparaît. En plus de la libre circulation des personnes, les six autres accords suivants seraient caduques :

  • Obstacles techniques au commerce
  • Marchés publics
  • Agriculture
  • Transports terrestres
  • Transport aérien
  • Recherche

 

  • La Suisse liquiderait brutalement le premier paquet d’accords bilatéraux, qui fonctionnent pourtant bien depuis 20 ans.

2.3  Domino 3 : disparition des mesures d’accompagnement

Lors de l’introduction de la libre circulation des personnes au début des années 2000, les partenaires sociaux ont négocié l’introduction de mesures d’accompagnement protégeant les salariés. Celles-ci ont été ensuite renforcées au gré des élargissements de l’Union européenne et des besoins en Suisse.

En substance, ces mesures d’accompagnement empêchent les entreprises peu scrupuleuses de sous-payer les salariés européens, que ce soit en les employant dans des entreprises en Suisse, ou en venant faire des travaux en Suisse depuis l’Union européenne (détachement).

Or, il est formellement prévu dans la loi sur les travailleurs détachés, qui règle l’essentiel du dispositif, que celle-ci n’est valable qu’aussi longtemps que l’accord sur la libre circulation des personnes est en vigueur[1]. Donc, si l’accord sur la libre circulation tombe, les mesures d’accompagnement disparaissent.

  • Un des objectifs caché de l’initiative est la liquidation des mesures d’accompagnement.

 2.4 Domino 4 : chute probable de la coopération Schengen et Dublin

Formellement, les accords de coopération en matière de justice, de police et d’asile ne sont pas liés à la libre circulation des personnes. Ils ont été négociés dans un deuxième temps, dans le cadre d’un second paquet.

Toutefois, la résiliation de la libre circulation des personnes remettrait fondamentalement en cause la logique sous-jacente à l’accord de Schengen, à savoir la suppression des contrôles compensée par une amélioration drastique de la coopération policière. Ce que deviendrait cet accord en cas d’acceptation de l’initiative UDC n’est pas clair. Différents scénarios sont envisageables, plus ou moins favorables pour la sécurité publique. Ce qui est sûr, c’est que la Suisse serait obligée de remettre en cause un système efficace et solide, avec une issue incertaine.

Or, si la coopération policière se dégrade ou dysfonctionne, la Suisse pourrait assez rapidement devenir la plaque tournante de la criminalité en Europe. Ce serait en particulier le cas si les autorités policières et judiciaires suisses perdaient l’accès aux bases de données européennes. Une telle dégradation de la sécurité n’est pas certaine, mais elle est possible.

  • La chute possible de la coopération policière et judiciaire serait un cadeau pour les organisations criminelles.

 

3 Le chaos comme seul horizon

3.1 Le grand saut dans le vide juridique

En provoquant la disparition de tous les accords importants, l’approbation de l’initiative équivaudrait à un saut dans un vide juridique. La radicalité du texte fait que le statu quo n’existera plus. On peut donc parler d’un saut périlleux en arrière. Impossible de se projeter en avant, impossible de s’accrocher à l’existant. Il conviendra de trouver des systèmes encore plus rustiques et limités que les accords bilatéraux actuels. Comment les concevoir ? Comme gérer le chaos dans l’intervalle ?

La Suisse étant physiquement entourée de pays membres de l’UE, il est difficilement concevable de ne pas régler la coopération et le fonctionnement des interactions au quotidien.

En tout cas, une fois le saut effectué, il ne sera plus possible de rebobiner le film et de revenir en arrière, pour replacer la Suisse sur le plongeoir.

De plus, il ne faut pas sous-estimer le chaos politique qui pourrait s’installer suite à une approbation de l’initiative. Comment réagiraient la société civile et l’économie ? A ce jour, il n’existe aucun consensus sur le développement futur des relations avec l’UE. Comment un pays qui n’arrive pas à prendre en mains son destin européen pourrait-il gérer sereinement une rupture aussi forte avec son environnement, son terreau culturel, son histoire ?

  • Comme le texte de l’initiative est très précis, une fois celle-ci acceptée, il n’y a pas de retour en arrière possible. Cette initiative, c’est la stratégie de la terre brûlée.

 

3.2  S’obliger à négocier avec le pistolet sur la tempe…

De manière parfaitement hypocrite, l’UDC fait semblant de croire qu’une négociation serait possible, qu’elle aurait une chance d’aboutir en 12 mois et que l’UE pourrait concéder la suppression de la libre circulation des personnes. En fait, ce discours cherche à masquer la netteté de la rupture par la Suisse d’un ensemble d’accords  pourtant approuvés par les citoyens.

En réalité, cette hypothétique négociation n’a pas de sens pour les principales raisons suivantes :

  • La libre circulation des personnes constitue l’un des piliers du marché européen et l’une des valeurs fondamentales de la construction européenne. On ne voit pas au nom de quoi l’UE pourrait accepter sa suppression tout en offrant l’accès au marché à la Suisse.
  • Ce principe est d’autant plus évident dans le contexte du Brexit. On imagine mal l’UE faire à la Suisse des concessions que les Britanniques pourraient réclamer par la suite.
  • Dans l’hypothèse très improbable où des négociations s’ouvriraient, le risque est très important que la Suisse ne parvienne plus à obtenir des accords aussi favorables que ceux en vigueur.
  • Toujours dans l’hypothèse très improbable où des négociations s’ouvriraient, elles n’auraient pratiquement aucune chance de parvenir à un résultat acceptable pour les deux parties en quelques mois.

Le temps imparti par l’initiative – 12 mois pour renégocier l’accord y-compris sa ratification –  est encore plus court que les délais du Brexit. Il met la Suisse en position d’extrême faiblesse. L’UE pourra lui imposer des conditions draconniennes, en jouant sur la crainte de l’isolement total.

  • En cas d’acceptation de l’initiative, la Suisse tentera d’ouvrir des négociation avec un pistolet sur la tempe. C’est la manière la plus sûre d’obtenir de mauvais résultats.

4 L’initiative ne garantit en rien la diminution de l’immigration

A en croire son titre, l’initiative prétend diminuer l’immigration. Avant d’examiner si l’immigration est véritablement une nuisance et donc si cet objectif est pertinent, examinons tout d’abord si l’initiative a la moindre chance d’atteindre son but affiché.

L’objectif des initiants n’est pas d’interdire l’immigration, mais de remplacer la libre circulation des personnes par des contingents d’immigration, comme à l’époque des saisonniers. Selon eux, le retour aux contingents pour les européens devrait permettre de réduire l’immigration. Dès lors, la question centrale est de savoir si les contingents seront fixés au niveau actuel d’immigrés ou à un palier inférieur, ce qui serait logique selon le titre de l’initiative.

Un regard sur le passé est édifiant. A l’époque du système des saisonniers, la question quantitative n’a jamais été un problème. Si l’économie avait besoin de main d’oeuvre, elle obtenait les contingents qu’elle souhaitait, sans restriction liée à une prétendue sauvegarde de la Suisse et des Suisses. A l’époque, l’immigration atteignait des niveaux bien supérieurs à aujourd’hui.

Plus récemment, même les élus UDC se sont opposés à des restrictions sur les contingents des travailleurs extra-européens. Un principe reste donc invariable, les besoins de l’économie priment et sont satisfaits, indépendamment de l’indignation xénophobe dont l’UDC a fait son fonds de commerce.

Lors d’une conférence de presse en février 2018, les leaders de l’UDC ont d’ailleurs dit clairement qu’ils souhaitaient que les entreprises puissent continuer à engager du personnel venant d’Europe. Toutefois, ils aimeraient qu’elles puissent recruter sans devoir respecter les fameuses mesures d’accompagnement. L’UDC veut donc permettre aux entreprises de recruter des Européens pour les payer moins. Cette sous enchère salariale rendrait leur engagement très attrayant, avec l’effet probable d’augmenter le nombre de nouveaux arrivants. Bien entendu, la sous-enchère les intéresse aussi parce qu’elle permet de faire baisser le niveau des salaires de toutes et tous en Suisse.

L’effet de cette initiative sera donc paradoxalement de stimuler l’immigration, car il sera plus attrayant pour les employeurs d’engager des Européens, puisqu’il sera permis de les sous-payer. Et gageons que les leaders économiques de l’UDC ne manqueront pas d’organiser un lobby intensif pour un dimensionnement généreux des contingents. La libre circulation a fait reculer l’immigration de dumping. Son abolition la relancerait.

  • L’initiative favoriserait une immigration dont le moteur ne serait pas les besoin du pays, mais le dumping salarial.

 

5 L’initiative crée une quantité de nouveaux problèmes

Il existe cependant un cas de figure dans lequel cette initiative pourrait faire baisser l’immigration : c’est celui, bien malheureux, où elle détruirait des emplois en aggravant la récession économique. En effet, de manière logique, si l’économie ralentit, l’immigration baisse également. Ce cas de figure négatif est loin d’être exclu.

5.1  Aggraver la récession en cassant les exportations et le tourisme

Dans le contexte de la crise économique du COVID-19, qui frappe très durement l’industrie d’exportation et le tourisme, l’initiative de résiliation aura pour effet d’accroître les pertes d’emploi.

Pendant de longues années, la pandémie compliquera l’exportation de biens d’équipement vers d’autres continents. Il sera difficile d’envoyer des collaborateurs au loin sans quarantaine à l’aller et au retour. Il sera moins aisé de promouvoir les produits suisses à l’autre bout du monde avec une mobilité réduite. En outre, le retour des touristes asiatiques et américains ne s’effectuera que très lentement.

Dans ce contexte, les marchés des pays voisins vont gagner en importance relative pour l’industrie d’exportation et le tourisme. Or, la chute du paquet bilatéral 1 rendrait l’exportation beaucoup plus difficile, puisque le seul cadre économique subsistant serait l’accord de libre-échange de 1972.

En fait, celui-ci n’est plus du tout à la hauteur des échanges commerciaux actuels, ni de la profonde insertion de la Suisse dans le tissu socio-économique européen. Ainsi, sans accord sur les marchés publics, les entreprises suisses devraient se contenter du statut standard très basique de l’OMC. L’accès de la Suisse aux commandes publiques européenne se situerait au même niveau que celui de l’Indonésie ou du Kenya. Handicap tout aussi lourd, les homologations de produits obtenues en Suisse ne seraient plus automatiquement valables dans l’Union. Les exportateurs devraient donc répéter l’entier du processus en Europe.

De plus, si le visa Schengen tombe, la Suisse sortira des circuits touristique. Elle se coupera de son voisinage, d’où proviennent pourtant les touristes sur lesquels elle peut encore compter.

Pour des raisons doctrinales, les chefs de l’UDC préfèrent le libre-échange avec la Chine et l’Amérique à de solides relations avec l’Europe. Soit. Mais la crise du COVID-19 a cruellement mis en évidence la fragilité de ce fantasme. Soudain, miser sur l’outre-mer est risqué, alors que travailler avec son propre continent devient évident.

  • Supprimer des emplois est une méthode efficace pour éviter qu’ils soient occupés par des Européens. Mais ils seraient aussi perdus pour les Vaudois ou les Thurgoviens.

 

5.2  Dégrader la situation sur le marché du travail

Les mesures d’accompagnement ont largement contribué à l’assainissement du marché suisse du travail. Il est à ce jour nettement mieux contrôlé et les salaires de misère qui sévissaient encore il y a 20 ans ont sensiblement reculé, de même que le travail au noir.

Leur disparition suite à l’acceptation de  l’initiative de résiliation dégraderait les conditions de travail. Ce serait une invitation au dumping salarial à large échelle, qui renforcerait les tensions sur le marché du travail. En particulier dans les branches de moindre qualification ou dans celles dans lesquelles l’économie ferait quand même venir en nombre des travailleurs en provenance de l’Union européenne.

En renforçant le fonds de commerce de l’UDC, cette péjoration du marché du travail instaurerait une spirale politique négative. La Suisse s’enfoncerait dans une marginalisation dont elle ne ressortirait qu’après une longue période d’appauvrissement.

Le système actuel de la libre circulation couplée au contrôle strict du respect des conditions de travail suisses est bien meilleur. Les entreprises peuvent faire venir les personnes dont elles ont besoin, mais en respectant les règles valables en Suisse. On évite ainsi à la fois que l’immigration serve à faire baisser les salaires et que les Européens travaillant en Suisse soient exploités. Et surtout, on transforme la nature de l’immigration. Désormais, la Suisse est capable d’attirer des personnes avec des qualifications professionnelles intéressantes. Elle a tout à y gagner.

Il existera toujours des problèmes sur le marché du travail, mais il est totalement abusif de les attribuer systématiquement à l’immigration ou à la libre circulation des personnes. Chaque problème est différent et mérite une solution spécifique. Un seul exemple : pour une personne dont l’apprentissage initial est devenu obsolète en raison de changements technologiques, la solution ne passe nullement par la diminution de l’immigration, mais bien par la possibilité d’acquérir de nouvelles connaissance dans son métier ou d’entreprendre une nouvelle formation.

  • Grâce au mesures d’accompagnement, il y a davantage de conventions collectives et de partenariat social. Leur disparition en cas d’acceptation dégraderait les rapports de travail en Suisse.


 

5.3  Isoler la Suisse de son environnement naturel

Au-delà des aspects économique, la Suisse souffrirait grandement de la disparition subite du cadre qui régit ses rapports avec l’Europe. A titre d’exemple, sans accord sur la recherche, la Suisse ne pourrait plus participer aux programmes scientifiques européens. Les étudiants suisses auraient donc les plus grandes peine à étudier en Europe.

Autres handicaps, il faudrait rétablir des contrôles douaniers permanents, trouver une nouvelle solution pour limiter le passage des camions à travers les Alpes, renforcer l’appareil policier et judiciaire pour compenser la chute de Schengen, etc.

Des problèmes graves aux complications inutiles, la liste des inconvénients générés par un éventuel isolement est pratiquement sans limite. Mais la Suisse n’est pas encore marginalisée. L’acceptation de cette initiative europhobe n’est pas une fatalité

  • Au moment où la pandémie fragilise les relations entre continents, il serait suicidaire de couper la Suisse de son environnement naturel.


 

6  L’initiative est inutile et liberticide

L’UDC prétendra probablement que la rupture avec l’UE constitue le prix à payer pour se débarrasser de l’immigration, source de tous les maux, fléau de l’humanité. Par rapport à ce diagnostic simplet, deux rectifications s’imposent.

6.1  La Suisse bénéficie massivement de l’immigration

Incapables de percevoir la valeur de la libre circulation des personnes et obnubilés par l’instrumentalisation électorale de l’immigration, les initiants s’insurgent contre le fait que des Européens viennent travailler en Suisse.

En réalité, l’histoire nous enseigne que, depuis plus d’un siècle, la Suisse est une terre d’immigration, et que c’est l’une des clés de sa prospérité. De la construction des barrages hydroélectriques dans les années 1950 au secteur des soins hospitaliers aujourd’hui, la Suisse a énormément profité et profite encore de la présence de travailleuses et travailleurs européens. Récemment, la crise du COVID-19 a montré que la Suisse aurait vu son système de santé s’effondrer sans les européens, qu’il soient frontaliers ou résidents.

Ce gain n’est d’ailleurs pas qu’économique, mais il est aussi culturel, sportif et scientifique. Sauf à imaginer le pays paralysé dans des secteurs aussi décisifs que la santé, le bâtiment, la restauration, le tourisme, l’industrie, la recherche, on imagine pas demain la Suisse fonctionnant en vase clos.

  • L’immigration européenne est un atout pour la Suisse. Son instrumentalisation obsessionnelle par l’UDC devient ridicule et pourrit le débat politique.

6.2  La libre circulation est une valeur humaniste

La libre circulation des personnes n’est pas une contrainte imposée par l’Europe, mais une valeur humaniste, précieuse pour tous les individus, Suisses compris. Elle émancipe l’être humain des frontières. Elle offre à chacun le droit fondamental de conduire sa vie librement, d’étudier, de travailler et de s’installer où il le souhaite. Elle a permis et permet encore à des millions de personnes d’améliorer leurs conditions de vie et celles de leur famille en vivant dans d’autres pays que le leur pour y offrir leurs compétences et leur force de travail.

D’ailleurs, les Suisses usent abondamment de cette liberté. Ceux qui souhaitent des horizons plus vastes que la Confédération sont toujours plus nombreux. Et la plupart d’entre eux choisissent de s’installer dans un pays de l’Union européenne. Ainsi, en 2018, 62% des Suisses de l’étranger vivaient en Europe, ce qui représente 471’000 personnes.

L’UDC a-t-elle pensé une seconde à ce demi-million d’émigrés suisses installés en Europe et aux conséquences qu’auraient pour eux une rupture des accords passés avec l’Union ? La libre circulation des personnes est toujours présentée comme une faveur accordée aux étrangers, alors qu’elle est également une liberté pour les Suisses.

    • La libre circulation est une conquête sociale ! La supprimer entraînerait une régression de nos libertés individuelles.

7  Disqualification, incertitude et paralysie

 

En choisissant de casser aujourd’hui les accords qu’elle a pourtant elle-même demandés, la Suisse se retrouverait dans une impasse totale. Discrédité, le Conseil fédéral ne pourrait pas se précipiter à Bruxelles comme en 1992 pour solliciter la compréhension d’Européens auxquels les Suisses auraient choisis ostensiblement de tourner le dos. Isolée, la Confédération deviendrait un Etat tiers, donnant de surcroît l’image d’un pays déloyal et non fiable.

Comment compenser ces handicaps ? Par quoi remplacer les accords bilatéraux ? Quelles solutions transitoires mettre en place ? Comment renouer des liens solides et fructueux avec les vingt-sept membres de l’Union ? En cas d’acceptation de l’initiative, c’est le temps des grandes incertitudes qui s’ouvre pour la Suisse, sans le moindre profit en retour.

En plus de cette disqualification, la Suisse pourrait se trouver déstabilisée par la question européenne pendant de longues années, à l’image de ce qui se passe au Royaume Uni. Divisée, isolée, incapable de trouver une solution de secours, elle devrait consacrer l’essentiel de son énergie à ce dossier, au détriment d’autres thèmes comme le climat, la formation ou les assurances sociales. Au risque de chaos déjà évoqué s’ajoute donc celui de la paralysie.

En ce début de siècle, la dangerosité du monde s’est fortement accentuée. Les problèmes graves et globaux se multiplient. Economiques, sociaux, migratoires, climatiques et sanitaires, ces défis interviennent de surcroît dans un contexte de montée des populismes, des égoïsmes nationaux et des pulsions autoritaires.

Dans cette époque tourmentée, une chose est sûre. Il serait insensé d’ajouter de l’incertitude aux incertitudes. La première précaution à prendre est de ne pas casser ce qui ce qui fonctionne, sans savoir par quoi le remplacer.

Au sortir de l’épidémie Covid-19, nous allons encore affronter une récession économique et de grandes incertitudes dans les relations internationales. Dans cette séquence qui appelle à la raison, il serait suicidaire d’isoler la Suisse et de la plonger dans une longue crise européenne.

 

  • Au final, l’initiative de l’UDC supprime une liberté importante, met fin à la voie bilatérale, attaque les mesures d’accompagnement, affaiblit l’économie, ouvre une crise avec l’Europe, paralyse la politique suisse et génère un nombre important d’effets pervers. Elle doit être balayée par un NON sec et sonnant.

[1] https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/19994599/index.html#a15