Achat des avions de combat: concentrer tous les moyens sur le risque le plus improbable?

Dans Le Temps du 11 septembre 2020, M. Dimitry Queloz attaque la légitimité de l’expertise concernant la défense aérienne de la Suisse que le groupe socialiste des Chambres fédérales a commandée et publiée. Croyant défendre le projet d’achat de 30 à 40 avions de combat, il critique la personnalité de l’expert mandaté.

Or, il aurait mieux fait de se confronter au contenu de l’expertise, fort intéressant: l’auteur commence par identifier les menaces et les besoins en matière de protection de l’espace aérien. C’est une démarche éminemment logique avant de choisir les moyens pour y faire face. Cette analyse met en évidence un besoin et cinq menaces. Dans l’ordre décroissant des probabilités, il s’agit des aspects suivants:

1) La police du ciel, le plus souvent parce qu’un petit aéronef s’écarte de la trajectoire prévue ou ne peut être identifié; 2) une attaque terroriste par un petit avion ou éventuellement un hélicoptère;

3) une attaque par drones, qui serait le fait d’un Etat ou de terroristes;

4) des missiles de croisière, désormais accessibles à certaines milices armées;

5) des missiles balistiques, que pour l’instant seuls des Etats possèdent, fort heureusement;

6) une attaque massive par les avions de combat d’un Etat étranger.

Sans surprise, l’attaque aérienne par un Etat ennemi qui aurait réussi à percer les lignes de l’OTAN figure en fin de liste, car elle est jugée totalement improbable. Et comme le reconnaît le chef de l’armée dans la Militärzeitschrift, il faudrait, pour y résister sur la durée, une flotte de plus de 100 avions ultra-performants. Le projet soumis aux urnes ne permet donc pas d’y faire face.

Pour répondre aux autres menaces, notre expertise examine les outils à envisager. S’agissant des menaces émanant de drones et de missiles, les avions de combat ultra-performants sont totalement inopérants. On ne peut se protéger de ces menaces que par des fusées sol-air, à condition de disposer d’une combinaison de systèmes de radars très performants. Et d’être capable d’interpréter les données en temps réel, puis de les transmettre. Sur ce plan, la Suisse est mal équipée, mais l’achat d’avions de combat ultra-performants ne compense en rien ce déficit.

Reste la mission de police pour la surveillance quotidienne de l’espace aérien et les attaques éventuelles par un petit avion ou un hélicoptère. Il est certes possible d’utiliser de gros avions de combat comme ceux proposés. Mais, dans la plupart des cas, des avions plus légers et plus économes en maintenance et en carburant suffisent, comme les Aermacchi M-346 FA italiens ou les KAI FA-50 fabriqués en Corée. La Suisse n’a pas besoin d’acheter des avions conçus pour aller bombarder au sol des objectifs à des milliers de kilomètres de nos frontières.

Des avions luxueux

En misant sur des avions plus petits pour les tâches quotidiennes et la formation des pilotes, on limiterait les heures de vol des F/A-18, ce qui permettrait d’en prolonger la durée de vie. Et les moyens ainsi économisés pourraient être utilisés pour se protéger des drones et des missiles de manière plus réaliste. Contre ces menaces, ce sont les systèmes de détection, la coopération internationale et les systèmes sol-air qui garantissent la sécurité. Enfin, notre expert fait aussi observer que les missiles sol-air offrent une protection plus robuste dans la durée contre une attaque de bombardiers qu’une minuscule flotte d’avions ultra-performants.

Globalement, il résulte de cette analyse que l’achat de 30 ou 40 avions à 150 millions de francs l’unité n’est pas très adéquate. Cela revient à concentrer tout l’effort financier sur la menace la moins probable, soit une attaque aérienne, et encore de manière peu efficace. Au lieu de tirer une grenade nébulogène dans la discussion, M. Queloz aurait mieux fait de présenter un examen des risques et des instruments. Hélas, ce refus d’une analyse ouverte des risques reflète la manière dont le département DDPS a géré le dossier: tout faire pour acheter les avions les plus luxueux.