Après les mesures d’urgence, la relance de l’investissement et de l’économie de proximité

Videoconférence de presse du Parti socialiste Suisse du 17 avril 2020

(le document de politique économique est disponible sous le site du PSS)

Intervention de Roger Nordmann, Conseiller national, Président du groupe socialiste

La crise économique à laquelle nous sommes confrontés présente des caractéristiques quelque peu inhabituelles, dont il faut tenir compte pour formuler les réponses adéquates.  

Dans une premier temps, la lutte contre le covid-19 a nécessité l’arrêt brutal de certains secteurs économiques en Suisse comme à l’étranger. C’est le déclencheur initial d’une forme de crise de l’offre, laquelle s’effondre. Globalement, le Conseil fédéral a bien réagi durant cette première phase. D’une part, il a évité que cette crise de l’offre ne déclenche une énorme crise de la demande des ménages, par le truchement de licenciements de masse et d’un effondrement immédiat du pouvoir d’achat. D’autre part, il a protégé l’outil de production. Les mécanismes employés, à savoir le chômage partiel, les allocations perte de gains et les crédits-relais permettent en effet  de maintenir à la fois l’outil de production, c’est-à-dire le potentiel de l’offre, et le pouvoir d’achat des ménages, c’est-à-dire une composante très importante de la demande. Même si la direction était la bonne, il y a encore des aspects à régler ces prochains jours (voir intervention de Marina Carobbio).

Malheureusement, la levée progressive des interdictions d’activité en Suisse, dont le rythme sera dicté par des considérations sanitaires, ne permettra pas comme par magie un retour à la situation d’avant. Nous identifions de grosses difficultés pour deux secteurs majeurs de notre économie : l’industrie d’exportation et l’économie de proximité (en particulier restauration, culture,  loisirs et tourisme).

Pour contrer les risques sur l’industrie d’exportation :  soutien de l’investissement public et privé.

Nous nous attendons en particulier à de gros problèmes dans une partie de nos industries d’exportation, car dans le monde entier, les investissements pourraient être freinés. La complexification des chaînes d’approvisionnement et les difficultés à se déplacer d’un continent à l’autre constituent des risques supplémentaires. Honnêtement, il faut reconnaître qu’à elle seule, la Suisse n’a pas tellement d’emprise sur les causes de ces problèmes globaux. Pour y faire face, nous proposons quatre axes pour stimuler l’investissement public et privé en Suisse :

  • Accélérer les investissements dans la transition énergétique et climatique. Nous avions, il a quelques mois présenté un plan Marshall qui montrait les axes. Les parties bâtiment et solaire peuvent démarrer très vite. Et les investissement dans l’assainissement écologique des transports, comme les routes à vélo ou le réseau de recharge des voiture électrique, offrent de bonne perspectives. La transition énergétique est donc une partie de la solution, pas du problème.
  • Investir dans la digitalisation. Ici nous ne pensons pas qu’aux infrastructures physiques comme la fibre optique, qui devrait être accessible à tous, mais aussi au savoir-faire et à la formation. C’est l’une des leçons à tirer de la crise actuelle : cette infrastructure est encore plus précieuse que ce que nous pensions, mais il faut aussi que tout le monde puisse réellement l’utiliser. Par exemple, dans l’enseignement, cet outil doit contribuer à l’égalité des chances plutôt que d’y faire obstacle.
  • Investir dans le secteur des soins et de la santé: certains domaines ont souffert de sous-investissement, et il se trouve que ce sont les domaines où les femmes sont actives. On observe qu’il y un gender-gap, dans la formation, dans les équipements, parfois dans les infrastructures. Sans parler du niveau insuffisant des rémunérations, qui n’est cependant pas lié aux investissements.
  • Le quatrième axe d’investissement consiste à participer à l’effort industriel et sanitaire européen. Il s’agit d’investir conjointement dans le renforcement de l’approvisionnement et de la flexibilité de nos industries pour faire face à des crises, et de réduire notre dépendance à l’outre-mer. Cette pandémie a montré notre étroite imbrication avec l’Europe, et la Suisse ne se portera bien que si l’Europe se porte bien, tant au plan sanitaire qu’économique. A cet égard, on ne saurait trop souligner l’importance de rejeter l’initiative UDC de résiliation des accords bilatéraux.

Relancer l’économie de proximité : bon d’achat de fr. 200.- par personne

Presque toutes les branches impliquant des contacts interpersonnels directs ont été brutalement impactées par la crise du Covid. Certaines d’entre elles pourront reprendre rapidement leurs activités. Mais pour d’autres, malgré les aides octroyées aujourd’hui, la survie à moyen et long terme sera difficile : on pense en particulier au secteur de l’hôtellerie-restauration, de la culture et des loisirs, dont certains pans pourraient rester interdits pendant quelques temps encore et avoir de la peine à redémarrer. De surcroît, il est vraisemblable que les touristes étrangers ne pourront pas venir pendant toute l’année 2020. Il est donc très important que la demande intérieure compense au moins en partie ces défections dans le tourisme.

En complément des aides déjà décidées, nous proposons d’offrir, sous la forme d’une carte électronique, un bon d’achat de 200 Fr. par personne à chacun des 8,5 millions d’habitants de la Suisse. Ces bons pourront être utilisés dans tous les secteur interdits par l’ordonnance covid-2 ainsi que dans l’hôtellerie. En revanche, ils ne pourront pas être utilisés pour des transactions sur Internet, car ce secteur n’a pas besoin d’être aidé.

En incitant chacune et chacun à dépenser l’argent dans les restaurants, les hôtels, la culture, et les loisirs, nous escomptons améliorer le chiffre d’affaires de ces entreprises pour la deuxième moitié de l’année et ainsi les aider à survivre. Nous imaginons que beaucoup de ménages utiliseront ces bons pour couvrir une partie du coût de leurs vacances d’été en Suisse. Pour des raisons sociales, il sera cependant aussi possible de dépenser cet argent dans des magasins d’alimentation.

Accessoirement, mais ce n’est pas là l’objectif principal, ces bons apporteront un soutien bienvenu au budget des ménages, dont certains auront quand même, en raison du chômage partiel, subi des pertes substantielles. Pour une famille de quatre personnes, c’est la possibilité de dépenser 800 Fr, ce qui est loin d’être négligeable. Enfin, ces bons ont une dimension psychologique de remerciements de la population pour les efforts consentis.

Le système des bons coûtera 1,7 milliards à la Confédération, ce qui ne représente qu’une très petite part des efforts consentis pour lutter contre cette crise. Il permettra d’aider efficacement les secteurs les plus durement touchés, dont certains étaient déjà structurellement fragile avant la crise.

 

Comme vous le constaterez, ces propositions se veulent pragmatiques, pour assurer le redémarrage, et nous n’avons pas la prétention à l’exhaustivité.