Discours de 1er Août 2017 à Ballaigues

Monsieur le Syndic, Mesdames et Messieurs les représentants des Autorités, chères et chers Compatriotes,

Ce sont nos échanges au sujet du parc éolien bel Coster qui vous ont conduit à m’inviter aujourd’hui. À vrai dire, la rédaction d’un simple e-mail de quelques lignes pour essayer de débloquer un simple problème de défrichement ne justifiait pas encore une invitation à prononcer le discours du 1er août.

C’est donc moi qui ai une dette envers vous, et je vais essayer de m’en acquitter au mieux en tentant de partager avec vous les soucis et les perspectives du moment.

Pour ce faire, je vais évoquer tout d’abord la question de l’énergie, parce qu’elle est emblématique de la complexité des problèmes, auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui. Et si je vous en parle à l’occasion de la fête nationale, c’est précisément parce que c’est un sujet que l’on ne peut pas résoudre au seul échelon national.

Autrement dit, et comme dans de nombreux autres domaines, il faut aussi inclure les dimensions locales et privées d’une part, et internationale d’autre part.

En Suisse, nous ne risquons pas de célébrer la fête nationale en opposant le niveau central aux collectivités locales, ou au secteur privé. Au contraire, la tendance générale est plutôt à la valorisation de l’ultra-local.

Chez nous, personne ne doute que pour mettre en œuvre le nouvel approvisionnement énergétique, le plein engagement des collectivités locales, des entreprises et des particuliers est nécessaire. Dans notre pays fédéraliste et libéral, une telle transformation ne se concrétise pas par un ordre tombant du ciel, mais par un processus progressif de persuasion et d’impulsion.

C’est précisément ce côté incitatif qui faisait la complexité du « paquet énergétique ». Il s’agissait en fait d’un dispositif subtil pour mettre le pays en mouvement, en intégrant toute la diversité de ses acteurs. Le peuple suisse l’a bien compris, en acceptant la stratégie énergétique 2050 par une nette majorité. Quant aux Ballaiguis, ils se sont distingués en approuvant ce grand projet avec un score de 70%, largement supérieur à la moyenne suisse.

S’agissant de mise en œuvre locale, J’aimerais remercier la commune de Ballaigues de s’être lancée, comme plusieurs de ses voisines, dans la difficile aventure de la construction d’un parc éolien.

Cette démarche est d’autant plus remarquable qu’à notre époque, le syndrome NIMBY prend des proportions considérables : vous l’avez compris, je parle de l’acronyme anglais « Not in my back Yard », c’est-à-dire en bon français « pas dans mon arrière-cour » ! Autrement dit, chacun est d’accord avec la transition énergétique, pour autant qu’elle se matérialise chez les autres. J’y reviendrai.

Je viens d’évoquer ce qui fait la force de la Suisse, à savoir cet ancrage local et cette capacité de mettre en œuvre des projets, parfois même de grande envergure.  Même si l’autocélébration constitue la loi du genre pour un discours de 1er août, elle recèle toujours la tentative de masquer certaines faiblesses et de surestimer ses forces. Venons-en donc vif du sujet.

En Suisse, le risque que l’on célèbre la fête nationale en opposant notre pays à ses voisins, à l’Europe ou au reste du monde est hélas bien réel. Si nous devions fête dans cet état d’esprit, nous fêterions alors, sans nous en rendre compte, notre propre insignifiance et notre propre impuissance. Heureusement, nous ne sommes pas obligés de tomber dans ce piège, qui constitue en réalité une insulte aux nombreux talents qui font le succès de notre pays.

Désormais, l’avenir, notre avenir de citoyens suisses, passe souvent par la recherche de solutions à des échelles plus vastes que celle de la nation. Le dossier de l’énergie et du climat le montre de manière exemplaire. Pour tenter de maîtriser des problèmes globaux, puis de les réduire, l’immense majorité des Etats a signé l’accord de Paris. Il s’agit d’un mécanisme de partage des responsabilités et des engagements. Certes, il est imparfait, mais tout de même infiniment supérieur à l’absence d’accord. Sans coopération, même les plus grands Etats n’ont qu’une influence marginale sur des défis mondiaux.

Savoir que vos projets d’énergies renouvelables sur le territoire communal s’insèrent dans une dynamique mondiale leur confère ce supplément de souffle et de sens, qui donne la force d’avancer. Et aussi celle de surmonter les oppositions égoïstes.

Le dossier climatique et énergétique est vraiment un domaine dans lequel la Suisse ne tombe pas dans le piège de l’autocélébration nationaliste. Si vous en doutez, mesurez la différence très frappante entre la politique suisse et la politique américaine au début de l’été ! D’un côté, le président Trump annonce que les États-Unis sortent de l’accord climatique de Paris. De l’autre, la Suisse adopte une nouvelle stratégie énergétique et, quelques jours plus tard, les Chambres fédérales ratifient ce même accord de Paris. Franchement, dans cette affaire, l’engagement démocratique et responsable à la Suisse a nettement surpassé le cynisme américain.

Ce qui me frappe, Mesdames, Messieurs, c’est que nous sommes tous fiers de l’attitude de la Suisse dans le domaine énergétique et climatique, où la coopération internationale nous paraît une évidence, qui renforce notre action au niveau national et local.

Par contre, sur d’autres plans, nous restons à la traîne, à commencer par la construction et la gestion du continent au cœur duquel nous vivons. Imaginez un instant dans quelle situation inextricable nous serions si les principaux Etats du continent n’avaient pas commencé, il y a 60 ans, à mettre en place un réseau de coopérations de plus en plus dense ?

La Suisse a longtemps snobé les efforts de l’Union européenne pour s’organiser. Finalement, non sans un certain opportunisme, nous sommes entrés bilatéralement dans la plupart des coopérations européennes. C’est évidemment vrai pour l’accès au marché, mais on oublie souvent bien d’autres domaines encore, comme la lutte contre la criminalité, la gestion de l’espace aérien, la migration, l’exploration spatiale ou la recherche scientifique, pour ne citer que quelques exemples.

Autant de problématiques importantes, où la Suisse n’a pas contribué à la mise en place des collaborations, mais où elle est bien contente aujourd’hui que les européens aient posé un cadre et développé des visions. Car la Suisse a un intérêt majeur à vivre sur un continent prospère, bien organisé, où règnent la paix et sécurité.

Avec regret, je dois même constater que parfois notre aveuglement politique est total, comme en matière de défense nationale. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, nous sommes les passagers clandestins de l’OTAN, et la plus farouche des célébrations de l’infanterie de montagne n’y changera rien. Le terme aveuglement est d’ailleurs particulièrement bien adapté, puisque depuis 2 ans, la Suisse essaye de négocier l’accès aux informations de la surveillance aérienne de l’OTAN. Nos stratèges se sont en effet enfin aperçus qu’il est impossible de surveiller efficacement l’espace aérien sans voir en temps réel ce qui se passe autour de nos frontières…. Or, pour l’instant, nous sommes bel et bien aveugles, au sens propre du terme.

Dans le monde moderne, l’isolement n’est plus une option, spécialement pour un petit pays situé au cœur d’un continent. Avec notre tissu serré d’accords bilatéraux, nous en tenons partiellement compte. Mais nous n’assumons pas notre responsabilité et nous ne défendons pas nos intérêts véritables. Pour le faire, nous devrions être les moteurs de l’intégration européenne, et non pas le frein. Et surtout, participer aux décisions qui nous concernent au moment et dans les instances où elles se prennent, au lieu de nous adapter après coup, comme nous le faisons actuellement sans oser nous l’avouer.

Vous l’avez deviné, je m’apprête à briser ce qui est désormais et malheureusement devenu un tabou national : au lieu d’être un membre passif de l’Union européenne, la Suisse ferait mieux d’en être un membre actif, de plein droit.

Et si vous en doutez, regardez ce qui est en train de se passer en Grande-Bretagne : sur un coup de tête populiste, le Royaume Uni a décidé de sortir de l’Union européenne, en balayant même le statut de membre passif à la Suisse, c’est-à-dire en renonçant si nécessaire à une simple participation au marché unique. Par cette décision, les Anglais ont mis en marche une véritable machine infernale, qui risque bien de les broyer, en les isolant et en les appauvrissant. Cet exemple est édifiant, car il montre qu’il n’existe pas vraiment de troisième voie entre participation et isolation.

Avec le vote du 9 février 2014 sur l’initiative dite « contre l’immigration de masse », la Suisse a failli perdre son ancrage européen. Mais finalement, par une mise en œuvre très souple, ou plus exactement une mise en œuvre très partielle, le Parlement est parvenu à sauver les meubles, et les tentatives de référendum contre cette décision ont échoué au niveau de la récolte des signatures déjà.

Pour autant, notre système d’accords bilatéraux demeure sous pression. Il devient de plus en plus difficile pour notre pays de défendre ses intérêts dans ce cadre, sans participer aux décisions. En effet, le principe de base des accords bilatéraux, c’est la reprise des règles de l’Union européenne dans le domaine concerné. À court terme, la Suisse gagnera à signer un accord institutionnel, qui permette de stabiliser le système. Mais à long terme, de mon point de vue, le seul statut digne et efficace pour notre pays serait d’être membre de plein droit.

En soulignant le caractère international de nombreux problèmes politique, j’espère ne pas vous avoir découragé de vous intéresser à la politique nationaux ou locaux.

En effet, il existe de nombreux enjeux entièrement locaux ou entièrement nationaux. Le 24 septembre, le peuple suisse devra se prononcer sur deux thèmes bien différents, qui constituent un menu varié : le premier touche la politique agricole, avec un nouvel article constitutionnel sur la sécurité alimentaire. C’est un sujet qui comporte évidemment une large dimension internationale vu les échanges internationaux de produits alimentaires et l’impact écologique global de l’agriculture.

Par contre, l’autre sujet, celui de la réforme de la prévoyance vieillesse, est un enjeu très important qui est presque uniquement national. Pour faire face au vieillissement de la population et à la crise du deuxième pilier, le Conseil fédéral et le Parlement proposent une réforme qui maintient le niveau des rentes, qui évite d’augmenter l’âge de la retraite au-delà de 65 ans et qui consolide les finances. Ces mesures me semblent former un bon programme !

Dans tous les cas, le choix est assez clair, puisque les opposants estiment au contraire qu’il faut augmenter l’âge de la retraite à 67 ans et raboter le niveau des rentes, en tout cas dans le deuxième pilier. Si la réforme est rejetée, il faut s’attendre à ce que soit le programme des opposants qui s’impose. Vous aurez le choix, et comme d’habitude, j’espère que vous participerez nombreux à cette votation.

Vous le savez, la commune de Ballaigues est située sur le tracé d’une très ancienne route transeuropéenne. Au fil du temps, curieuse et accueillante, elle a développé des activités et des compétences dans des domaines aussi variés que l’agriculture, l’industrie, le commerce et le tourisme, pour ne citer que les plus marquants. Cette diversité se retrouve dans l’esprit d’ouverture, le goût de l’innovation et l’hospitalité des habitants. D’aussi belles qualités permettront à Ballaigues de réussir, j’en suis sûr, dans une Suisse confiante et dynamique. C’est là mon souhait d’aujourd’hui.

Et c’est dans cette perspective que je vous souhaite à tous, une très belle fête du 1er août .