Rarement, une initiative fédérale aura monté une arnaque aussi perverse que celle dite « vache à lait », sur laquelle nous votons le 5 juin. Abusivement intitulée « pour un financement équitables des transports », cette proposition veut affecter la totalité des impôts sur les huiles minérales aux infrastructures routières, alors qu’aujourd’hui la moitié des recettes aboutit dans la caisse fédérale. Cette vision simpliste qui postule que l’argent de la route doit rester à la route illustre trois attitudes destructrices. La première vise une déconstruction de l’Etat, en organisant le silotage de ses politiques et en promouvant l’idée égoïste que chacun ne doit payer que pour son usage propre des prestations communes. La deuxième organise un asséchement systématique de la caisse générale de la Confédération, dans le but de restreindre son action. Et la troisième revendique une approche unilatérale des problématiques, en restreignant, s’agissant de l’initiative en question, celle de la mobilité à la voiture.
En matière de transports, la perversité de la démarche tient au travestissement d’un « tout à la route » aussi injuste qu’inefficace en projet équitable et sensé. Tout d’abord, il est faux de peindre l’automobiliste suisse en « vache à lait », exploitée par un système avide de gains. Entretenu par le lobby routier, ce mythe populiste ne résiste pas aux faits. Aujourd’hui, le réseau autoroutier, qui a augmenté d’environ 50% au cours des trente dernières années, est bien entretenu. La caisse routière est bien dotée, sachant que 700 millions de francs supplémentaires par année viennent de lui être alloués par le Conseil des Etats. Enfin, l’impôt sur les huiles minérales n’a plus augmenté depuis 1993. Au total, circuler en voiture reste bon marché, alors que le prix des transports publics ne cesse d’augmenter.
Si les automobilistes ne sont nullement discriminés, l’initiative qui prétend les défendre fera, elle, de nombreuses victimes. Le hold up qu’elle souhaite opérer sur la caisse fédérale priverait différents secteurs de 1,5 milliards. La formation et la recherche, l’agriculture et l’alimentation, l’aide au développement seraient les principaux lésés. S’agissant des transports publics, 250 millions manqueraient chaque année, notamment dans le trafic régional. L’une des forces de la Suisse repose sur son excellent système de transports. Combinant moyens privés et publics, servant les pendulaires urbains, mais aussi les régions périphériques, il permet une mobilité exceptionnelle. L’initiative des fans de la route conduirait immanquablement au renchérissement des transports publics. En outre, elle menacerait le FAIF (Financement et aménagement de l’infrastructure ferroviaire), accepté par le peuple en 2014, puisque 9% des recettes sur les huiles minérales lui sont attribués. De même, un projet tel que le M3 serait bloqué, dans la mesure où l’acceptation de l’initiative liquiderait le Fonds pour les routes nationales et le trafic d’agglomération (FORTA), que les Chambres fédérales sont en train d’élaborer.
Ultime aberration, l’attribution de tout l’impôt sur les huiles minérales à l’infrastructure routière finirait par la noyer sous les millions. Il existe un risque réel que des moyens illimités conduisent à un bétonnage insensé du pays. Or le développement inconsidéré des routes ne supprimerait même pas les bouchons, suscitant au contraire une augmentation permanente du trafic et de ses nuisances. En fait, l’initiative « vache à lait » organise le massacre d’un système de transports particulièrement performant. Elle doit donc être balayée. Avec d’autant plus de vigueur que la destruction de l’impôt au profit d’une taxe réservée à une seule tâche ruinerait le bien commun. Veut-on à terme une société où seules les personnes qui ont des enfants paieraient les écoles ? La juste répartition des recettes des huiles minérales octroyant 50% à la route et 50% à d’autres bénéficiaires doit être impérativement maintenue