La politique étrangère suisse est un grand vide

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Depuis le début de la guerre d’agression russe en Ukraine, un débat confus s’est engagé sur la neutralité de la Suisse. Le président du Centre, Gerhard Pfister, est même allé jusqu’à proposer de livrer des armes à l’Ukraine. Il a alors reçu des applaudissements inattendus de la part de certains.

D’autres voix bourgeoises ont tenté de (re)mettre l’adhésion à l’OTAN à l’ordre du jour. Plus à droite encore, on s’est même opposé, au nom de la neutralité, à l’imposition de sanctions économiques contre la Russie — voire à désigner clairement l’identité de l’agresseur dans cette terrible guerre. Au lieu de cet imbroglio, il vaudrait bien mieux d’apporter un peu de clarté.

La neutralité repose sur deux piliers: le droit de la neutralité et la neutralité militaire. Ceux-ci constituent le noyau de la neutralité et sont ancrés de manière contraignante dans la Convention de La Haye, qui remonte à plus d’un siècle (1907).

Pas de livraison d’armes possible

Les obligations qui en découlent sont claires. Les Etats neutres peuvent bien sûr défendre leur propre territoire, mais ils ne peuvent pas intervenir dans des conflits militaires entre Etats tiers ni traiter de manière privilégiée l’un des belligérants. La Suisse applique ainsi ce dernier point en ne livrant pas d’armes aux parties prenantes du conflit. La crise actuelle montre justement que cette solution est tout à fait sensée: pour un canon livré à l’Ukraine, nous devrions, sinon, en fournir un à la Russie.

Malgré toute la compréhension militaire que l’on peut avoir pour la tentation de rejoindre l’OTAN sur un coup de tête ou une réaction émotionnelle, cette voie est difficilement conciliable avec le noyau juridique de la neutralité. L’Autriche n’est pas non plus membre de l’OTAN. Ce n’est pas un hasard. Dans ce premier pilier, la neutralité signifie également rester en dehors des alliances militaire

Le deuxième pilier est, donc, la politique de neutralité en tant que telle. Il ne s’agit pas d’une obligation en droit international — c’est un instrument ouvert pour toutes les questions qui ne concernent pas la stricte neutralité militaire. La politique de neutralité s’oriente en principe vers le respect du droit international. En tant que petit Etat, la Suisse est fondamentalement dépendante du respect du droit international et de l’endiguement du droit du plus fort.

Violation crasse du droit international

Dans le cas de la guerre actuelle en Ukraine, une décision du Conseil de sécurité de l’ONU n’a pas été possible parce que la Russie y a opposé son veto. La situation de départ en matière de droit international est toutefois très claire: en envahissant l’Ukraine, la Russie a massivement enfreint le principe cardinal de l’intangibilité de l’intégrité territoriale des États.

Dans ce deuxième pilier, la Suisse dispose d’une grande flexibilité. Elle peut utiliser cette marge de manœuvre pour mener une politique étrangère active et constructive, axée sur les objectifs de développement durable de l’ONU. Dans les domaines de la coopération au développement, des droits humains, de l’aide humanitaire et de l’environnement, la Suisse mène globalement une bonne politique. Elle devrait toutefois la développer massivement au vu de la situation dans le monde.

La place financière suisse doit être améliorée. Au lieu de promouvoir un développement durable à l’échelle mondiale, notre secteur financier est trop souvent utilisé comme plaque tournante pour toutes sortes d’affaires douteuses, récemment par exemple comme lieu de refuge pour la kleptocratie russe. Cela nuit à notre réputation et au monde.

La Suisse est au cœur de l’Europe!

L’autre pilier d’une politique étrangère active et constructive consiste logiquement à entretenir de bonnes relations avec ses voisins et à atteindre le plus haut degré de coopération possible. La Suisse devrait enfin établir ses relations avec l’Union européenne sur une base plus solide et plus coopérative. Car s’il y a une chose qui ne peut pas être changée, c’est bien la situation géographique. Et celle-ci positionne la Suisse, qu’on le veuille ou non, au cœur de l’Europe.

Souvent, en Suisse, tout ce qui est lié à l’UE est rejeté par dogmatisme, par anti-européanisme. Pourtant, en matière de sécurité, une collaboration plus étroite dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune de l’UE s’imposerait.

Contrairement à une adhésion à l’OTAN, qui n’a de toute façon aucune chance sur le plan politique, l’approfondissement de cette coopération correspondrait également aux valeurs de la Suisse et renforcerait effectivement sa sécurité.

Que fait le Conseil fédéral?

Ce qui manque le plus dans ce contexte géopolitique difficile, c’est la voix du gouvernement. Le Conseil fédéral devrait en fait définir et défendre le cap de la politique étrangère et de sécurité. Mais en matière de politique militaire, il se contente pour l’instant de soutenir une augmentation de budget sans concept que lui a imposée la «Stalhelm-Fraktion» (les gros durs, en somme) du Parlement.

Et en matière de politique européenne, le Conseil fédéral joue la montre et fait des propositions très vagues, au point que ni la population ni l’UE ne comprennent ce que veut vraiment le gouvernement. Ce manque de leadership nuit à la Suisse.