Discours Roger Nordmann à l’occasion de la remise du Prix jeunesse de la Session des jeunes
Mesdames et Messieurs, Chère Ida, chère Nathalie, cher Otto, Chers amis,
Lorsque, dimanche 21 novembre, j’ai reçu dimanche le SMS m’indiquant que j’avais reçu le prix jeunesse de la Session des jeunes, je rentrais d’une balade en forêt avec mes deux enfants Jean (6) et Edith (5). Nous étions grimpés au sommet de la tour en bois de Sauvablin, et nous étions tombé sur un groupe d’ados de 12 à 14 ans, qui s’exerçait à la cigarette en laissant tomber les cendres sur le sol en bois. Maintenant que je suis vieux, je me suis senti le droit et le devoir de leur faire la remarque que ce n’était pas très malin de fumer au sommet d’une tour en bois, pour d’évidentes raisons de sécurité. Comme vous pouvez l’imaginer, mon intervention n’a pas suscité l’enthousiasme, et j’ai dû quelque peu insister pour qu’ils redescendent fumer sur le plancher des vaches. Je n’ai d’ailleurs lâchement pas osé leur suggérer qu’il serait encore mieux de ne pas fumer, pensant à tous mes copains qui essayent d’arrêter la clope à 30 ou 40 ans…
Donc, en recevant le SMS, j’explique le contenu à mes enfants, qui me demandent ce qu’est la session des jeunes. Tout fier, je leur explique, ce qui n’était pas très difficile, vu qu’ils étaient déjà venu au Palais fédéral. En papa tout fier, je m’attendait à bénéficier de l’admiration de mes enfants. Que nenni, mon fils Jean m’a répondu du tac au tac : « C’est vraiment pas logique, tu grondes les jeunes au sommet de la tour en bois, et ils te donnent un prix. Bizzare ». J’en suis resté bouche bée.
Cette anecdote montre deux choses : il n’est jamais bon de tomber dans l’autosatisfaction, et ce sont les plus jeunes qui peuvent nous remettent en question. Si l’on applique ce double constat à la Suisse, il est très éclairant, et c’est à cela que je vais consacrer mon intervention.
Ces derniers temps, impossible d’ouvrir un journal sans lire une intervention qui explique en quoi la Suisse est parfaite, et en quoi elle est mieux que l’étranger, proche ou lointain. Il y a bien le Conseil fédéral qui dysfonctionne un peu, mais cela n’a guère d’impact, tant notre perfection serait parfaite. D’ailleurs, cette perfection ne dépendrait guère du gouvernement , car elle trouverait sa véritable origine dans notre essence de Suissesses et de Suisses, nous sussure-t-on à journée faite. C’est sans doute pour cela que le plus grand parti politique lance régulièrement par voie d’initiative populaire de nouveaux philtre filtants, afin de mieux trier le bon grain de l’ivraie, respectivement les moutons noirs des moutons blancs. Le discours dominant attend naturellement des jeunes qu’ils se joignent à cette autosatisfaction générale. Par exemple, que la session des jeunes décide les mêmes chose que la session des vieux, si vous me passez l’expression. Conséquence logique du vieillissement démographique, non ?
Cette autostatisfaction nous pousse souvent à nous affranchir des faits. A cet égard, une petite anecdote toute fraîche : vendredi, j’écoutais une conférence comparant les efforts de réduction de CO2 de différents pays de l’Union européenne depuis 1990. La Suisse ne figurait pas sur le graphique, mais l’orateur a indiqué, au passage, que la Suisse était « naturellement parmi les bons élèves, avec 12% de baisse des émissions ». Or en réalité, nos émissions ont très légèrement augmenté, comme le montre la lecture de la statistique fédérale. Cet exemple est très symbolique : les faits ne comptent guère, car nous serions – axiomatiquement – les meilleures en toute circonstance.
Mesdames et Messieurs,
Cette situation est à la fois totalement insupportable pour les jeunes, et représente en même temps une grande opportunité pour la jeunesse.
Cette situation est insupportable, parce que quoi que les jeunes proposent, on objecte que le status-quo suisse représente le stade ultime de l’aboutissement du développement humain. La Suisse n’a-t-elle pas la meilleure démocratie, la meilleure politique familiale, le meilleur rapport à l’argent, le meilleure rapport aux institutions européenne, le meilleur système de formation, la meilleure protections de l’environnement, et j’en passe et des meilleures.
Mais cette amoncellement d’autosatisfaction relevant de l’ordre du mythe représente en réalité une opportunité pour les jeunes : la Suisse ne peut pas vivre éternellement dans le mythe et le complexe de supériorité, elle doit retrouver le contact avec la réalité, et c’est là à mon sens la mission décisive des jeunes.
Les jeunes sont capables d’interroger la réalité, et lorsqu’il le font, il rendent un immense service au pays. Pourquoi ?
L’affaire de la chute du secret bancaire est extrêmement révélatrice du risque qu’il y a à rester enfermer dans le mythe : plus la fin du secret bancaire se rapprochait, plus l’on se complaisait à répéter qu’il était immuable et non négociable. Jusqu’au jour où il a chuté sans que la Suisse puisse négocier… Dans cet exemple, il aurait été très utile que le discours officiel soit remis plus tôt en question, et cela aurait pu être le rôle des jeunes.
La jeunesse donne l’immense privilège de la liberté de pensée : à 15 ou 20 ans, on ne sait pas exactement de quoi sera faite sa propre existence. On peut donc plus facilement s’affranchir de sa position personnelle et penser en terme d’intérêt général plutôt qu’en terme de défenses de privilèges acquis.
Plus que jamais, la Suisse a besoin d’une jeunesse qui soit capable de penser par elle-même, d’imaginer le changement et de la remettre en question. Car la Suisse mérite mieux que de se concevoir comme l’addition d’une série d’intérêts particuliers enrobée dans une sauce mythologique. Il s’agit au contraire d’imaginer le bien commun, et une politique qui serve ce bien commun. Car une société et un pays, ce n’est pas simplement le produit aléatoire de l’action d’acteurs isolés et non coordonnés qui s’agitent sur un marché. Pour faire un pays, il faut des projets d’avenir et des visions qui donnent un sentiment d’adhésion et d’appartenance. Et ce n’est pas en pleurnichant sur la grandeur passée de notre place financière que nous y parviendrons.
Pour forger l’avenir et relever les défis de notre temps, il s’agit en premier lieu de faire preuve de volonté. Autrement dit de s’affranchir de l’état d’esprit néo-cynique qui prévaut trop souvent, en particulier dans les médias, mais aussi dans de larges couches de la société. Oui, nous pouvons changer le cours des choses, oui, l’intérêt général peut l’emporter, non, il n’y a pas de fatalité.
La session des jeunes contribue très largement à cet effort de volonté constructive, et je suis très honoré qu’elle m’ai attribué le Prix jeunesse. Durant cette année qui s’ouvre, je vais m’efforcer de soutenir ses efforts. Sur un point concret de la session des jeunes, le congé paternité, je vais relancer une intervention parlementaire, vraisemblablement encore durant cette session.
Avant de conclure, j’aimerai remercier d’une part les organisateurs, mais aussi et peut-être avant tout mes deux concurrentes Ida Glanzmann et Nathalie Ricklin, qui se sont engagées à fond dans cette aventure. Enfin, j’aimerai remercier mon prédécesseur et ami Otto Ineichen, dont je connais l’engagement pour la jeunesse, par exemple dans le projet « speranza », mais aussi pour les plus faibles sur le marché du travail, par exemple pour le projet « power 40 + », un programme de reconversion de chômeurs de plus de 40 ans en experts énergétiquew. J’apprécie beaucoup son esprit transpartisan, qui contribue grandement à concrétiser des projets, en particulier dans le domaine de la protection de l’environnement et des énergies renouvelables. Pas plus tard que ce matin, le Conseil national a enfin décider d’adopter les normes européenne d’émission de CO2 pour les nouvelles voitures. Otto a largement contribué à faire évoluer dans le bon sens la position du parti radical, ce dont je l’en remercie