Qui a perturbé la bonne marche de la démocratie suisse, au point que le peuple doit voter sur une initiative censée appliquer une première mouture pourtant acceptée? En mars 2015, le Parlement a modifié le code pénal pour mettre en œuvre l’initiative populaire visant à l’expulsion des criminels étrangers, adoptée en novembre 2010. Personne n’ayant lancé le référendum, ce durcissement du code pénal pourrait entrer en vigueur rapidement. Le dispositif est prêt, mais le Conseil fédéral doit attendre la votation du 28 février. Pourquoi? Parce que l’UDC a lancé entre-temps une deuxième initiative, dite «initiative de mise en œuvre de l’initiative sur le renvoi des criminels étrangers».
Une façon d’agir délirante
Selon l’UDC, cette deuxième démarche est nécessaire parce que le parlement n’aurait pas mis en œuvre correctement la première. Sur ce point, l’UDC n’est absolument pas crédible. Non seulement, elle n’a pas lancé le référendum contre la loi d’application votée par le parlement en mars 2015; mais de surcroît, elle a lancé sa deuxième initiative bien avant de savoir quelles modifications du code pénal les Chambres adopteraient en application de la décision populaire. Une telle façon d’agir est délirante!
Un imbroglio considérable
Si un oui sortait des urnes le 28 février, la situation deviendrait extrêmement confuse: on aurait d’une part le code pénal durci, prêt à entrer en vigueur; et d’autre part la deuxième initiative populaire acceptée, les deux se contredisant sur plusieurs points! La confusion serait d’autant plus grande que la deuxième initiative prévoit de s’appliquer directement, sans toutefois clarifier les procédures. Autrement dit, une approbation le 28 février retarderait obligatoirement de plusieurs années l’entrée en vigueur du durcissement du code pénal, parce qu’il faudrait en «réviser la révision». À lui seul, cet imbroglio justifie de rejeter la deuxième initiative. Mais c’est surtout le contenu de la deuxième démarche qui nécessite son rejet, pour trois raisons principales.
La première raison de dire non
Premièrement, la deuxième initiative va beaucoup plus loin que la première. Elle prévoit l’expulsion automatique pour des délits de peu d’importance, si la personne concernée a été condamnée à une peine pécuniaire ou de prison au cours des 10 dernières années précédentes. Un exemple concret formulé par l’ancien juge fédéral Raselli: Amilcar, né en Suisse et ressortissant portugais, a été condamné pour conduite en état alcoolisé, à l’âge de 19 ans. 9 ans plus tard, il est impliqué dans une bagarre. Du fait que quelqu’un a été blessé, tous les participants se voient infliger une peine pécuniaire. Amilcar va être le seul à devoir quitter la Suisse automatiquement. Expulser un assassin ou un violeur étranger du territoire Suisse est compréhensible; éjecter une personne pour un délit mineur ne l’est pas.
La deuxième raison de dire non
Deuxièmement, l’initiative soumise au vote prévoit un automatisme absolu, sans possibilité de tenir compte des circonstances. Au contraire, la révision du code pénal adoptée par le Parlement prévoit que le juge puisse «exceptionnellement renoncer à une expulsion lorsque celle-ci mettrait l’étranger dans une situation personnelle grave et que les intérêts publics à l’expulsion ne l’emportent pas sur l’intérêt privé de l’étranger à demeurer en Suisse. A cet égard, il tiendra compte de la situation particulière de l’étranger qui est né ou qui a grandi en Suisse.». Cette disposition permet d’intégrer dans le jugement le fait qu’une personne est mariée à un Suisse, a des enfants en bas âge ou s’occupe de ses parents âgés. Le code pénal révisé est clairement plus intelligent.
La troisième raison de dire non
Troisièmement, l’automaticité du retrait de l’autorisation de séjour, y compris pour des cas de faible importance, va poser de très gros problèmes pratiques, en particulier pour les pays avec lesquels la Suisse n’a pas d’accord de réadmission. Chaque année, ce dispositif provoquera l’entrée dans la clandestinité de centaines d’anciens détenus. Après leur avoir enlevé «automatiquement» le titre de séjour, la Suisse n’aura toutefois pas la possibilité de leur faire quitter le territoire. Ce problème occupera la police, les prisons de renvoi et la justice, nécessitant des centaines de fonctionnaires supplémentaires. S’agissant de délits mineurs, c’est grotesque; et contre-productif: sans statut ni possibilité de travailler, ces personnes seront incitées à se lancer dans une véritable carrière criminelle.
Les secondos
L’expulsion automatique des étrangers de seconde et troisième générations est tellement absurde que certains UDC, dont le nouveau conseiller national et professeur de droit Vogt ainsi que les conseillers aux Etats Germann, Eberle et Kuprecht, essayent maintenant de réinterpréter le texte soumis au vote le 28 février prochain. M.Vogt explique ainsi que les secondos étrangers mais nés en Suisse ne seraient pas concernés, parce que ce ne seraient pas des étrangers au sens juridique et que le juge aurait une marge d’appréciation. Malheureusement, l’article constitutionnel soumis au vote prévoit exactement le contraire.
Certes, l’UDC ne nous a guère habitués à nous pencher sur des initiatives pertinentes et bien rédigées. Mais, cette fois, dans une démarche délirante, elle propose au pays un texte si contre-productif, qu’il ne mérite qu’un rejet sec et sonnant.