Mon discours pour demander une dérogation en vue des élections de 2019

Chers et chers camarades,

Les statuts sont les statuts, et ils doivent être respectés. Je me retrouve donc à vous demander une dérogation parce que je suis entré en fonction deux jours trop tôt. Finalement, ce n’est pas si mal. Cela m’oblige à faire le point, et à me soumettre à la majorité des deux-tiers.

À y regarder de plus près, j’ai eu deux vies parlementaires. Il y a celle que je viens de commencer, voilà à peine deux ans, comme président du Groupe socialiste des Chambres fédérales. Et il y a celle d’homme de dossiers que j’ai menée avant.

J’aimerais vous parler un instant de cette première vie. Pour ce faire, je me suis replongé dans les rapports annuels que le Parti socialiste vaudois demande à tous ses élus fédéraux de rédiger.

J’y ai par exemple retrouvé les 7 étapes de la transition énergétique : l’introduction de la taxe sur le CO2, la mise en place du programme d’assainissement des bâtiments, les quatre étapes de renforcement des énergies renouvelables et j’en passe. Nous avons forgé le compromis historique interdisant la construction de nouvelles centrales nucléaires, approuvé par le peuple.

Il y 10 ans, il était évident que l’on construirait trois nouvelles centrales nucléaires, et que l’énergie solaire était la plus chère de toutes les formes d’électricité. Aujourd’hui, c’est la moins chère. Je vous avoue que même dans mes rêves les plus fous, je n’aurais pas, à l’époque pas osé croire à un pareil progrès technique. Plus que tout autre, ce dossier montre l’importance d’oser des visions à long terme.

Et celle de saisir les opportunités. Je me rappelle de ce triste vendredi matin le 11 mars 2011, dans mon bureau de la rue de la l’Ale, lorsque j’apprends que la centrale de Fukushima est en feu. Dimanche, je demande dans la Sonntagszeitung  à Doris Leuthard d’organiser la sortie du nucléaire ou de démissionner. Inutile de vous dire que les retrouvailles du mardi matin à Berne furent un peu rugueuses. Mais finalement assez fructueuses.

Autre grand dossier qui m’a fortement mobilisé, les transports publics, dans lequel notre canton avait autant d’envie que de retard. Après avoir beaucoup travaillé avec Michel Béguelin pour les projets Lausanne-Genève, nous sommes arrivés à la conclusion qu’il fallait une nouvelle base constitutionnelle pour financer les investissements dans les transports publics. C’est pour cela que j’ai proposé à l’ATE de lancer l’initiative populaire « pour les transports publics », qui nous a ensuite permis d’obtenir le contre-projet FAIF adopté par le peuple en 2014, avec notamment le renforcement du nœud ferroviaire de Lausanne.

Il est aussi parfois nécessaire d’intervenir en coulisse, ce qui a permis de repêcher le financement du M3, entre la consultation et le message définitif. Ou discrètement en commission pour obtenir Fr. 800’000 pour refaire la place de la gare à Aigle.

Autre action loin des projecteurs, celle qui a permis de torpiller la hausse des taxes d’études dans les écoles polytechniques en 2013. Je mentionne ce dossier parce qu’il est redevenu très chaud ce printemps.

Mais, chers camarades, la politique est aussi faite de projets à relancer inlassablement, vous le savez bien.   Dans le segment des dossiers à poursuivre avec obstination, celui de ma motion de 2007 pour un congé paternité, qui passe le Conseil national, mais se fracasse aux Etats. Bon, pour être tout à fait honnête, la seule raison pour laquelle elle avait passé au conseil national, c’est que la moitié du groupe UDC était partie à l’inauguration du salon de l’auto, car elle voulait boycotter le débat du 8 mars sur l’égalité hommes femmes…. Pour l’instant on n’y est pas encore…

Je pourrais aussi vous parler de  mes tentatives d’égratigner le secret bancaire, à l’époque un peu triste où il était défendu bec et ongles par Micheline Calmy-Rey. Elle m’avait d’ailleurs passé un savon en séance de groupe pour avoir osé formuler une proposition dans ce sens, et comble de l’insulte, elle l’avait fait en me vousoyant. Ce dossier montre qu’il ne faut pas se décourager : il a incroyablement progressé, davantage il est vrai en raison de l’arrogance des banques suisses et des pressions extérieures que par notre talent, soyons lucides.

Lorsque suis arrivé à Berne, Christophe Blocher était Conseiller fédéral et dominait la politique fédérale. Son mépris des institutions m’horripilait, et j’ai fait tout ce que j’ai pu pour qu’il ne soit pas réélu. Son remplacement par Eveline Widmer-Schlumpf a permis 8 années de politique relativement constructive, jusqu’aux élections catastrophiques de 2015.

Ces élections de 2015 provoquent justement le basculement dans ma deuxième vie parlementaire, dans les circonstances très difficiles. C’est d’une part l’avènement de 68 députés UDC, ce qui rend ce parti ultra-dominant. En s’alliant uniquement avec un PLR qui adore se mettre à sa remorque, l’UDC obtient une majorité de 101 voix. Le résultat politique, vous le voyez tous les jours.

Les réformes constructives sont sabotées au Parlement ou plus tard en votation populaire, comme le renforcement de l’AVS. Et les projets les plus infâmes passent aisément la rampe du Conseil national, comme tout récemment la baisse des prestations complémentaires pour les personnes à l’AVS et à l’AI. Souvent, ironie de l’histoire, c’est le Conseil des Etats qui corrige le tir. Ce même Conseil des Etats qui réussit par ailleurs l’exploit honteux de torpiller des mesurettes pour l’égalité salariale homme-femmes.

Souvent, c’est en votation populaire que nous devons corriger le tir. En 2017, par exemple contre les dérives de la réforme de l’imposition des entreprises. Et probablement prochainement contre l’abolition du droit de timbre, un cadeau de 2,3 millards aux banques, qui n’en espéraient pas tant. Ou contre le hold-up que les assureurs-maladies ont fomenté hier en commission.

Les élections de 2015, c’est aussi la non réélection d’Andy Tschumperlin, notre camarade schwytzois président du groupe socialiste, un événement qui a passablement traumatisé le groupe. Vice-président à l’époque, j’ai dû sauter dans le train pour aller remplacer Andy sur les plateaux de télé le dimanche soir des élections, et puis gérer le groupe dans l’urgence. Ma candidature à la présidence du groupe, loyalement challengée par Barbara Gysi et Beat Jans, a surpris. Deux romand à la tête du parti ? Impensable. Le dernier Romand qui était resté plus de deux ans à la tête du Groupe s’appelait Pierre Graber, élu en 1966… Rétrospectivement, je suis très fier de ce groupe. Une majorité alémanique qui n’hésite pas à se donner un président issu d’une minorité linguistique, cela ne va pas de soi.

Je ne vous cache pas, chers et chères camarades, que cette nouvelle fonction me passionne ! et c’est notamment pour continuer à l’exercer que je souhaite poursuivre mon engagement. Je la conçois comme celle d’un capitaine-entraîneur d’une équipe de foot. Je consacre beaucoup d’énergie à soutenir les membres du groupe leurs différents projets, à les encourager, et à faire éclore leurs talents. J’aime la dimension stratégique du poste, par exemple lorsqu’il faut négocier avec le PLR le sauvetage des accords bilatéraux. C’est aussi la possibilité d’intervenir efficacement dans beaucoup de dossiers. Je pense par exemple à ce jeudi matin de juin 2016, à la veille du vote final, lorsqu’en quelques heures, j’ai rédigé dans les pas perdus le bilan chiffré de la RIE III, avec un casque sur les oreilles pour échapper au brouhaha. Et je me suis convaincu que nous gagnerions ce référendum.

Ce poste permet aussi de communiquer efficacement, et je considère qu’il est de mon devoir de l’utiliser à cet effet. C’est notamment ce que j’ai fait dans la campagne contre l’initiative no-billag, un des nombreux projets de destruction des institutions.

C’est sur ce thème que j’aimerais conclure :  nous allons vers des temps très durs où les forces populistes et autoritaires prennent facilement le dessus pour détruire les institutions.

Or sans institutions ni organisation, il ne peut y avoir de justice, il ne peut y avoir de démocratie, il ne peut y avoir de service public.  

L’exaltation des nationalismes et l’ultra-libéralisme sont en en train de pousser le monde à la catastrophe, et le phénomène se voit aussi dans notre petite Suisse. Par exemple, cet automne, nous voterons sur une initiative de l’UDC, trompeusement appelée « pour l’autodétermination contre les juges étrangers ». Une initiative qui renie la Cours européenne des droits de l’homme et surtout, qui préconise que la Suisse ne respecte plus les engagements qu’elle a signés. Imaginez un instant quel signal désastreux nous enverrions au monde si cette initiative passait. Elle placerait la Suisse dans le sillage des Trump, des Poutine et autres Erdogan. Elle affaiblirait un peu plus une Europe dont nous devons au contraire souhaiter le renforcement.

Plus que jamais sur cette planète, nous avons besoin de droit et de coopération. Les défis socio-économiques et climatiques sont absolument monstrueux. Toutes les guerres, de la Méditerranée aux contreforts de l’Himalaya, sont financées par et pour le pétrole. Ce même pétrole dont la combustion réchauffe le climat et pousse dans la misère, puis sur les chemins de l’exode les habitants de la ceinture du Sahel.

Chers camarades, les problèmes du sous-développement et du climat sont totalement imbriqués : si nous ne maîtrisons pas le réchauffement et la destruction du cadre de vie, les populations les plus pauvres ne pourront pas sortir de la misère. Mais l’inverse est aussi vrai : sans développement, sans progrès technique, sans égalité homme-femme, ni formation, nous ne maîtriserons pas les défis environnementaux. Le monde risque de basculer dans une spirale dépressive, ce qui n’est pas acceptable. Nous, socialistes, nous voulons que toutes les populations aient progressivement accès à la prospérité, mais que cette prospérité ne détruise pas ses propres fondements.

La Suisse doit contribuer à relever ce défi, d’autant plus qu’elle est riche et qu’elle détient beaucoup de savoir-faire. Mais c’est aussi bien sûr dans son intérêt direct de s’engager : il n’y aura pas de progrès social à l’intérieur de notre pays sans un développement global de la justice sociale sur notre planète.

Pour avancer vers ces objectifs justes, chères et chers camarades, la première chose à faire, c’est évidemment de progresser sérieusement aux élections fédérales de 2019, pour retrouver des majorités plus constructives au Parlement. Dans notre canton, cela signifie retrouver le sixième siège au Conseil national que nous avions gagné en 2011, mais perdu en 2015. Et pour cela, camarades, nous devons mener une campagne du tonnerre.

Je suis à votre disposition, si les deux tiers d’entre vous le souhaitent.

  1. Merci de votre confiance.