Deux mois avant la votation, le débat sur la révision partielle de la loi sur la radio-télévision s’est déjà enflammé. A la lecture de certaines prises de position récentes, on pourrait penser qu’il en va du maintien ou de la suppression de la radio-télévision publique ou encore le partage du gâteau éditorial et publicitaire sur Internet.
Qu’il me soit permis ici de recentrer le débat sur le contenu de cette modification légale. Elle concerne principalement le mode de prélèvement de la redevance radio-télévision. Rappelons ici que cette redevance sert essentiellement à financer la radio-télévision publique dans les quatre communautés linguistiques. Accessoirement, elle apporte une contribution au financement des radios et des télévisions privées régionales.
Aujourd’hui, la redevance radio-télévision est due par les ménages et les entreprises qui possèdent un appareil permettant d’écouter la radio ou de regarder la télévision. Selon la loi actuelle, celui qui possède un poste de TV à son domicile et dans sa résidence secondaire paie deux fois la redevance. Il en va de même pour une boulangerie qui possède une radio dans chacune de ses deux enseignes distantes de 500 mètres dans la même ville. Aujourd’hui, seul celui qui ne possède aucun appareil de réception, pas même dans un véhicule, est dispensé de payer la redevance. Ce système est complètement dépassé parce que la notion même d’appareils permettant la réception de la radio ou de la télévision n’a plus vraiment de sens. La plupart des téléphones portables et tous les ordinateurs ainsi que les tablettes liées à Internet permettent d’écouter la radio et de regarder la télé.
Le contrôle est donc devenu surréaliste: comment les inspecteurs de Billag peuvent-ils s’assurer que le ménage de Monsieur X n’a pas d’appareil de réception de médias électroniques? Comme souvent, une règle dépassée par la technologie ne peut être appliquée, et son contrôle est aussi cher qu’inefficace. Puis, droit dans les yeux: les 15% de ménages qui ne paient pas la redevance ne regardent-ils vraiment jamais la télévision et n’écoutent-ils vraiment jamais la radio?
Face à l’absurdité de cette situation, le Conseil fédéral a proposé de modifier le système, en se fixant pour objectif que la somme globale récoltée reste identique, de même que la répartition de la charge entre les ménages et les entreprises. Après avoir examiné de manière détaillée toute une palette de solutions, le Conseil fédéral a proposé la plus simple et la plus robuste, et le parlement s’y est rallié. C’est sur cela que nous votons.
Désormais, tous les ménages ordinaires seront assujettis à la redevance. Cela permet d’abaisser la redevance de 460 à 400 francs. Le registre des habitants servira de base aux prélèvements. Les mutations, par exemple pour un déménagement, se feront automatiquement et il n’y aura plus besoin de procéder à des fastidieux contrôles pour savoir si le ménage qui ne paie pas ne possède pas d’appareils. Cela permettra plus de 20 millions d’économies administratives.
Les ménages pourront toutefois signer une déclaration pour se faire exempter jusqu’en 2022. Il s’agit principalement de tenir compte des personnes les plus âgées qui ne consommeraient aucun média électronique. Et les deux principales exceptions actuelles demeurent: les personnes au bénéfice de prestations complémentaires de l’AVS ou de l’AI resteront exemptées. D’autre part, les ménages de type collectif comme les EMS paieront la redevance sur une base collective, comme aujourd’hui.
Pour les entreprises, le critère de la possession d’un appareil de réception est aussi abandonné. Les entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 500 000 francs sont tout simplement exemptées de la redevance. Ce système permet d’éviter que les petits indépendants et les agriculteurs ne la paient à double, comme ménage et comme entreprise. Les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur paieront la redevance au prorata. A partir de 1 milliard de chiffre d’affaires, la redevance sera plafonnée à 39 000 francs. La répartition du prélèvement auprès des entreprises sera plus équitable.
Les autres modifications de la loi sont minimes. Il s’agit essentiellement d’augmenter légèrement la part des radios et télévisions régionales à la redevance, et de soutenir leurs investissements dans la modernisation technologique et la formation des journalistes.
Si le non l’emportait, le droit actuel serait maintenu. On continuerait alors à encaisser la redevance liée à la possession d’un appareil de radio, avec les frais administratifs excessifs de Billag.
Objectivement, l’agitation des opposants face à une révision légale aussi pragmatique ne peut s’expliquer par le contenu de la loi. A l’évidence, ils doivent avoir en arrière-plan un agenda caché. Du côté de l’USAM, il semble que ce référendum ait principalement pour but d’organiser une plateforme pour la campagne électorale de son directeur, Hans-Ulrich Bigler. En effet, pour les entreprises, la solution est totalement rationnelle, comme le montre le soutien d’economiesuisse à la révision.
Du côté de l’UDC, j’identifie deux motivations distinctes: la première consiste à affaiblir politiquement la radio-télévision suisse pour pouvoir mieux vendre des fenêtres publicitaires depuis l’étranger. C’est le business professionnel de la conseillère nationale Natalie Rickli, salariée de Goldbach Media AG. Ceux qui considèrent les médias comme une branche ordinaire où il doit être possible d’obtenir 20% de rendement sur les fonds propres s’alignent sur cette logique.
L’autre motivation est d’ordre idéologique: affaiblir le service public, et en particulier les mécanismes de redistribution. Pour la Suisse romande, le Tessin et les Grisons de langue romanche, c’est un enjeu existentiel. En effet, trois quarts de la redevance et des recettes publicitaires de la SSR sont prélevés en Suisse alémanique. Et grâce au mécanisme de solidarité, la Suisse latine ne doit pas se contenter du quart des ressources.
Cette solidarité alémanique permet à notre coin de pays, au Tessin et aux Rhéto-Romanches, de bénéficier d’un service public de qualité et diversifiée en matière de radio-TV. C’est un enjeu démocratique et culturel majeur, qui précisément dérange les opposants farouches au service public. Ce n’est pas directement le sujet de la votation. Somme toute, c’est cependant une raison supplémentaire de voter oui, car cette rénovation maintient les bases d’un financement solide de la radio-télévision, un élément essentiel de la solidarité confédérale.