A un mois des élections fédérales, Le Tempsconsacre sa une à l’éventuelle élection d’un second UDC au Conseil fédéral à la place de Mme Widmer-Schlumpf, reprenant l’idée de Philipp Müller, président du Parti radical. Quel serait l’impact d’une telle rocade?
En termes institutionnels, cette idée ne peut aboutir et fonctionner ensuite que si l’UDC et le PLR obtiennent quasiment à eux deux une majorité à l’Assemblée fédérale. Il s’agirait d’une réorientation majeure, reproduisant celle de 2003, lorsque M. Blocher avait été élu au Conseil fédéral. Au parlement, cette modification des rapports de force aurait un effet immédiat sur plusieurs dossiers à traiter dès le début de la prochaine législature. Petit tour de table sur les principaux dossiers, puis sur l’enjeu ultra-stratégique du sauvetage de nos relations avec l’Europe.
A l’exception de deux députés, tous les conseillères et conseillers nationaux du PLR et de l’UDC ont voté contre la sortie du nucléaire. Dans le scénario d’une poussée de l’alliance UDC-PLR, ce projet échouerait donc au vote final. La Suisse se retrouverait alors dépourvue de stratégie énergétique et dépendante durablement du parc nucléaire le plus vieux du monde. Et ceci sans que le peuple n’ait pu se prononcer sur le dossier, puisqu’un référendum n’est possible que si le projet a passé l’écueil du vote final des Chambres.
En matière de stratégie d’assainissement de la place financière, il s’agirait d’un retour en arrière brutal. Le nouveau rapport de force consoliderait singulièrement la position de Thomas Matter, ce député UDC zurichois qui a lancé une initiative pour ancrer dans la Constitution le secret bancaire à l’ancienne. Dans le comité de son initiative figurent d’ailleurs plusieurs PLR de poids, dont la présidente du groupe parlementaire. La stratégie de M. Matter satisfera peut-être quelque obscure officine de blanchiment fiscal à Lugano ou Genève, mais elle nuira à l’ensemble de la place financière sérieuse. Car ce dont nos banques ont le plus besoin, c’est une clarification rapide et durable de la situation ainsi que l’accès rapide au marché européen. A contrario, un salto arrière en eaux troubles priverait notre place financière de perspective d’avenir.
Le vieillissement démographique constitue à n’en pas douter un troisième défi majeur. Après plusieurs tentatives d’augmenter l’âge de la retraite ou de baisser les rentes, balayées en votations populaires ou au parlement, le Conseil fédéral a enfin proposé une stratégie de consolidation qui préserve grosso modo le niveau des rentes. Cela me paraît être la condition sine qua non pour avoir une chance en votation populaire. Au Conseil des Etats, le projet semble avancer correctement. Si les UDC et les PLR obtiennent une majorité, ils réorienteront complètement le projet: retraite à 67 ans et baisse des rentes. Autant dire un nouvel échec en votation, et dix ans de perdus, avec une aggravation rampante du problème, par le simple écoulement du temps.
On pourrait multiplier à souhait les exemples de dossiers sectoriels, mais c’est probablement dans le dossier le plus difficile de la législature que la situation deviendrait inextricable: comment l’alliance UDC-PLR pourrait-elle sauver notre accès à l’Europe? L’honnêteté intellectuelle oblige à reconnaître que cet attelage tirerait à hue et à dia: le PLR veut sauver les bilatérales, alors que l’UDC organise pas après pas l’isolement du pays, avec méthode et détermination. Avec son initiative «Contre l’immigration de masse», elle a progressé de manière décisive dans son funeste dessein, et l’alliance des forces de la raison devra être large pour corriger le tir. Si le PLR est à la remorque de l’UDC, cela deviendra impossible.
L’UDC nous avait habitués à nuire aux intérêts de la Suisse romande, par exemple en combattant le fonds ferroviaire ou en tentant de torpiller le financement national solidaire de la RTS. Mais son opération de destruction des accords bilatéraux est encore plus nuisible: elle touche le cœur des intérêts de la Suisse romande, sabotant son dynamisme économique et culturel.
Miser sur l’intégration de l’UDC demeure en effet extrêmement naïf, hier comme aujourd’hui: en 2003, une majorité bourgeoise avait bravement élu M. Blocher au Conseil fédéral, en espérant que celui-ci se modérerait et que l’UDC prendrait une attitude constructive. La suite leur a donné tort: l’UDC s’est encore radicalisée et M. Blocher a multiplié les faux pas, fidèle à son ADN populiste et à son instinct de captation du pouvoir.
C’est ce qui a conduit à son remplacement par Mme Widmer-Schlumpf, qui était à l’époque une UDC modérée. Entre-temps, l’UDC s’est purgée de tous ses éléments modérés, ce qui s’est clairement vu lors de la campagne pour l’initiative «Contre l’immigration de masse»: il ne s’est pas trouvé un seul parlementaire UDC pour dévier d’un iota de la ligne officielle du parti. Clairement, la modération n’a plus de place à l’UDC.
En l’espèce, la stratégie du président du PLR, qui envisage d’étendre l’influence de l’UDC au Conseil fédéral en y élisant un second UDC prétendument modéré, revient à mettre un pyromane à la tête des pompiers. Finalement, le mérite de la une du Temps est d’illustrer l’enjeu des élections: faire avancer le pays, ou le laisser patiner dans l’ornière. Espérons que les Romandes et les Romands se mobiliseront en masse pour la première option.